Comment Lionel Guérin et Pierre-François Le Louët veulent fédérer le secteur de l’habillement autour de l’Ufimh.

9 septembre 2025

En janvier dernier, Lionel Guérin et Pierre-François Le Louët devenaient co-présidents de l’Union française des industries de la mode et d’habillement, prenant le relais du mandat de trois ans de Sylvie Chailloux. Les deux dirigeants, figures reconnues du secteur, qui connaissent parfaitement les rouages des organisations patronales, annonçaient alors un « projet refondateur » et une évolution des structures de décision du secteur. L’Ufimh réunit au niveau national la Fédération française des industries du vêtement masculin et la Fédération française du prêt-à[1]porter féminin, auxquelles s’ajoutent la Fédération des industries diverses de l’habillement, le Groupement de la fabrication française (GFF) et de nombreux syndicats régionaux. L’ambition affichée est de fédérer les énergies de ces différents acteurs. Alors que le secteur de l’habillement et de la mode est confronté à une intense transformation et à des difficultés structurelles, FashionNetwork.com a fait le point avec le binôme sur cette nouvelle approche, sur les projets portés par l’organisation et sur leur philosophie.

FashionNetwork.com : En janvier dernier, vous avez été élus co-présidents de l’Ufimh. Pourquoi cette organisation en binôme ?

Lionel Guérin : C’était important car nous sommes tout d’abord complémentaires. Ensuite car cela peut faciliter une logique de rapprochement dans laquelle nous sommes engagés. Et enfin, parce que le secteur est confronté à de nombreux sujets auxquels nous devons apporter des réponses.

FNW : En quoi êtes-vous complémentaires ?

Pierre-François Le Louët : Nous possédons des compétences et des histoires un peu différentes. Lionel est un très grand professionnel de l’univers du social, de la formation. Pour l’Ufimh c’est absolument essentiel car notre fonction implique de négocier les conventions collectives. Pour ma part, j’ai une expertise de l’innovation et des marques alors que Lionel maîtrise l’univers du vêtement d’image et de fonction, qui est une autre composante importante de notre union.

FNW : Lorsque votre mandat a été annoncé, vous avez glissé dans votre lettre d’intention vouloir une évolution des structures de décision et un rapprochement des équipes des différentes structures. Qu’est-ce que cela signifie ?

PFLL : Cela veut dire que nous avons mis en place une nouvelle gouvernance. Et nous annonçons aujourd’hui le déménagement de la fédération du prêt-à-porter féminin au 8 rue Montesquieu, à Paris, qui rassemblera donc l’ensemble des fédérations professionnelles composant l’Ufimh. La fédération des industries du vêtement masculin est déjà là, la maison du savoir-faire et de la création est déjà là. La FFPAPF nous rejoindra en octobre.

FNW : Qu’est-ce que cela doit apporter ?

LG : Cela va permettre que les équipes puissent travailler beaucoup plus ensemble et mener à bien des projets. Mais nous avons surtout la mise en place de la nouvelle gouvernance avec huit vice-présidents statutaires qui ont été chacun choisis pour leurs compétences sur l’un des huit sujets stratégiques que nous avons identifiés en conseil d’administration. Nous avons aussi défini des référents opérationnels membres des équipes des fédérations pour pouvoir soutenir chaque vice-président.

FNW : Quel est l’objectif de cette mise en place et qui sont les vice-présidents ?

PFLL : Il y a un souci d’efficience. Notre objectif est d’avoir des prises de positions extrêmement claires de l’Ufimh sur tous les sujets qui la concernent et d’être présent dans toutes les négociations ou discussions. Notre rôle est de représenter notre profession sur tous les sujets régaliens liés aux discussions avec les assemblées, avec le gouvernement et les différents ministres. Nous savons qu’il y a de très fortes ambitions pour notre secteur. Donc il faut chez nous des interlocuteurs qui sachent exactement de quoi ils parlent. Chacun a mis en place ses notes de contexte et des visions d’avenir.

LG : Les vice-présidents ont été élus ce 20 mars en assemblée générale. Claire Besançon, qui avait déjà en charge ce sujet précédemment, coordonne la thématique de la transformation RSE, Sylvie Chailloux est vice-présidente en charge de la relocalisation et de la réindustrialisation, Hervé Coulombel supervise les sujets sur l’innovation, Jacques Martin-Lalande prend en main le social et la formation alors que Pierre-Jacques Brivet se charge de la formation initiale, Laurent Marck dirige la plateforme des savoir-faire, Yann Rivoallan est vice-président de la transformation digitale et Hervé Huchet du développement international. Enfin, Dominique Jacomet est notre référent sur les questions européennes.

FNW : Étiez-vous confrontés à un manque de visibilité des enjeux du secteur du fait des nombreuses fédérations ?

PFLL : En réalité il y a beaucoup trop de fédérations professionnelles et d’interlocuteurs potentiels. C’est le sens de la mise en place d’une gouvernance unifiée et du rassemblement des fédérations dans un même lieu, mais Lionel Guérin et Pierre-François Le Loüet – Ufimh aussi du rapprochement des structures en régions.

FNW : Mais chacune des entités a un président et des équipes, comment allez-vous fonctionner ?

PFL : Les choses vont évoluer dans le sens du rapprochement des organisations. C’est ce qui a été voté à l’unanimité par notre conseil d’administration. C’est important pour pouvoir aller dans le même sens. Concrètement les présidents de fédérations sont élus et sont vice-présidents de l’Ufimh. Nous ne nous marchons pas sur les pieds, au contraire. Nous prenons le meilleur de chacun d’entre nous pour avancer et pouvoir apporter des réponses au gouvernement.

LG : Par exemple, je reste président de la fédération des industries du vêtement masculin, qui m’a élu en février suite au décès de Claude Tétard, donc je reste président de cette fédération et vice-président de Promas, qui se charge de promotion internationale des marques du masculin.

FNW : Vous évoquez une évolution de l’organisation. Qu’est-ce qui a changé ?

LG : Nous avons mis le focus sur les axes stratégiques. Récemment il n’y avait qu’une commission dédiée à l’innovation et à la RSE. Nous l’avons scindée car les questions de la transformation technologique et de la transition écologique nécessitent des actions dédiées. Par ailleurs chaque vice-président s’appuiera sur une équipe au sein de l’Ufimh avec l’idée d’ouverture à d’autres experts et des start-ups extérieurs à nos fédérations. En effet, les chefs d’entreprises ont parfois tendance à avoir le nez dans le guidon. Nous voulons avoir cette ouverture pour avoir un regard prospectif.

FNW: Vous débutez votre mandat de trois ans. Quels sont les sujets clés ou défis auxquels vous allez être confrontés ?

PFL : Il y en a quatre. Il y a tout ce qui a trait à la réindustrialisation et la souveraineté industrielle. Le second concerne le développement durable car au niveau européen il y a 13 textes qui vont impacter la mode dans les années qui viennent dont neuf sur le développement durable. Le troisième sujet c’est l’humain. Et en particulier l’adéquation entre l’offre et la demande de formation. Enfin, il y a l’innovation technologique. Si nous voulons la réindustrialisation et la transformation RSE, il faut que les entreprises soient accompagnées par de nouvelles solutions qui leur permettent d’embrasser ces nouvelles contraintes sans trop de difficultés.

« La transition durable n’est plus une question, c’est une nécessité »

FNW : Vous évoquez les textes européens. Mais au niveau français, la future loi portée par la députée Anne-Cécile Violland, présentée comme « contre l’ultra fast-fashion », ou le prochain dispositif d’affichage environnemental, vont apporter des changements au niveau français. Il semble que le gouvernement a prêté l’oreille à des organisations comme En mode Climat ou la Fédération de la mode circulaire. La nouvelle structure de l’Ufimh est-elle aussi une réaction au poids de ces acteurs ?

PFL : Non, il n’y a pas de réaction. D’ailleurs, nous avons de bonnes relations avec la fédération de la mode circulaire comme avec beaucoup d’autres acteurs de notre écosystème, comme l’Alliance du commerce et la Fédération de la maille. Qu’il y ait des activistes qui soient écoutés par le gouvernement c’est absolument normal. Si nous voulons être efficaces nous avons besoin que les entreprises s’approprient les réformes et notre mission est de les représenter. Avec le ministère de la Transition écologique nous avons participé aux différents travaux et aux différentes auditions qui ont mené à cette loi anti-fast-Fashion que nous soutenons. Il faut reconnaître le poids considérable de Yann Rivoallan, le président de la fédération du prêt-à-porter féminin, dans ce combat dans lequel il a eu un rôle crucial, autant voire plus, que beaucoup d’activistes.

Donc les fédérations professionnelles ont été à l’avant-garde de ce mouvement contre l’ultra-fast-fashion et nous sommes très heureux du vote à l’unanimité de cette loi à l’Assemblée nationale. Mais notre rôle ne se limite pas là. Nous serons aussi très attentifs à la bonne application de cette loi car cela dépendra d’un certain nombre de décrets sur les seuils, la question des modalités d’affichage environnemental ou de la définition d’une référence. Il reste encore beaucoup de travail à faire pour que cette loi ne rate pas sa cible. Nous sommes alignés avec l’Alliance du commerce et la Fédération de la maille pour, le diable étant dans les détails, pour vraiment être sûr que cette loi vise l’ultra fast fashion qui a tellement déstabilisé notre écosystème.

FNW : Avec cette période d’inflation, les entreprises du secteur voient leurs marges attaquées. Comment envisagez-vous qu’elles investissent dans la RSE et l’innovation alors que leur priorité est plutôt, comme le disait Lionel Guérin, d’avoir la tête dans le guidon et de continuer à avancer ?

PFLL : Je comprends parfaitement les difficultés des entreprises, je suis chef d’entreprise moi-même et confronté à la transformation radicale des industries de la mode. Mais en fait ça n’est plus une question c’est une nécessité car c’est une obligation légale. Les lois qui sont votées ou les neuf textes en cours de discussion au niveau européen font que de toutes les façons nous n’avons pas le choix. L’Ufimh a mis en place avec le soutien du Défi des subventions avec un accompagnement financier des entreprises pour pouvoir les aider à embrasser cette transformation. Nous avons créé des outils, avec des guides donnant la direction concrète. Les fédérations peuvent aider à définir une stratégie.

LG : Nous sommes passés d’une logique d’acculturation, qui permettait de faire comprendre les enjeux et d’éviter d’avoir des entreprises qui mettent ces sujets au fond d’un tiroir, à une logique d’action. Tout le monde doit avoir compris, et notre job est maintenant de pouvoir leur fournir un système clé en main car toutes les entreprises n’ont pas la puissance de feu des grands groupes pour développer des réponses en interne. Pour les petits, on ne fait plus de l’information, on va leur proposer un guide de mise en place.

PFL : Car aujourd’hui si on est une marque et que l’on n’a pas commencé à s’intéresser à ces sujets, je confirme qu’on est très mal parti !

FNW : Pourtant, dans d’autres secteurs une musique se fait entendre de la part de représentants d’entreprises quant au coût trop élevé de la transition. Qu’il faudrait alléger les cadres voire repousser les échéances. Est-ce l’approche de l’Ufimh ?

PFL : Que ce soit bien clair, nous avons été la première organisation professionnelle il y a huit ans à financer une étude sur le développement durable et la mode. Cela fait fait huit ans que nous alertons les entreprises et que nous comptons parmi nos membres les entreprises les plus engagées de France sur ce sujet-là. Si l’idée est décalée d’un an ou deux, en fait ce n’est pas le sujet. Le sujet c’est que toutes les sociétés aujourd’hui doivent avoir une stratégie RSE, avec un plan d’actions. Encore une fois, nous n’avons pas le choix ! La question n’est pas de décaler de 12 ou 18 mois quand on parle de la vie d’entreprises qui s’étend sur plusieurs dizaines d’années. Le sujet c’est d’avancer !

FNW : Mais, vous l’avez dit, les sociétés peuvent difficilement répondre seules à ces défis. Les dirigeants sont-ils prêts à travailler collectivement ?

PFL : Je pense qu’il y a déjà un joli travail collectif. Nous testons plein de choses avec nos organisations professionnelles. Effectivement, il faut encourager les entreprises qui se sentent un peu perdues à se rapprocher de nos organisations pour qu’on puisse les embarquer et, comme le disait Lionel, avoir de l’impact. Mais collectivement il y a un autre sujet sur lequel nous sommes extrêmement attentif, c’est la question de la relocalisation, de la souveraineté qui est liée aux questions de durabilité. Nous lançons un appel à toutes les marques de mode premium pour qu’elles puissent relocaliser une partie de leur production en France.

FNW : C’est-à-dire ?

PFL : C’est-à-dire qu’on ne parle pas de mettre en place une capsule alibi, mais de mettre en place des partenariats avec des fabricants français qui sont à l’écoute, capables de fabriquer pour le moyen de gamme. Nous devons nous assurer de ne pas être dépendants exclusivement des importations très lointaines.

FNW : Sur ce sujet, le salon Première Vision Made in France se tient actuellement. Quel état des lieux faites-vous de la situation du secteur. N’y a-t-il pas une défense de l’existant à mener ?

PFL : Oui toujours. Aujourd’hui, il y a les fabricants français qui font du haut de gamme et sont portés par le luxe. Et ceux qui font du moyen de gamme et qui sont portés par des marques souvent de petite taille, souvent très engagées sur la question du Made in France et qui ont bénéficié d’un vent porteur en sortie de Covid. Cette engagées sur la question du Made in France et qui ont bénéficié d’un vent porteur en sortie de Covid. Cette deuxième population souffre de l’inflation et de la désorganisation des approvisionnements de matières. Il faut la soutenir maintenant car sinon elle ne sera plus là quand il y aura des obligations légales pour les marques de réaliser de la production en France. Et à ce moment-là nous n’aurons pas de solution et les marques vont se retrouver extrêmement démunies. Il faut absolument que du côté des marques premium, nous arrivions à reconstruire une culture industrielle pour créer ces ponts avec les fabricants français. Nous pouvons déjà nous appuyer sur la Maison du savoir-faire et de la création dont la nouvelle plateforme a mis en lien l’an dernier 400 sociétés.

FNW : Parmi vos axes, il y a un sujet qui est un axe complexe depuis plusieurs années pour les entreprises, c’est le recrutement et la transmission des savoir-faire. Quelles actions voulez-vous mener ?

LG : Nous travaillons très bien avec l’Opco de référence. La difficulté est liée à l’accompagnement des entreprises de plus de 50 salariés qui n’ont plus accès à des fonds mutualisés. Nous réfléchissons à créer un fonds mutualisé professionnel pour accompagner toutes les entreprises. Nous visons à que ce dispositif soit opérationnel en 2025. Et puis il y a une image du secteur qu’il faut enjoliver. Il faut réussir à attirer les jeunes et pouvoir présenter des politiques sociales motivantes. Par exemple l’an passé nous avons signé un accord type d’intéressement[1]participation. Nous faisons face à une concurrence pour attirer les profils, notamment par la maroquinerie. La force du secteur est que le travail peut être intéressant. L’aspect formation initiale a été confié à Pierre-Jacques Brivet, avec un travail sur les référentiels de formation d’un BTS, d’un CAP mais aussi d’une dizaine de certificats de qualification professionnelle et des titres du ministère du Travail. Nous souhaitons remettre en adéquation les cursus d’éducation et la réalité des métiers.

FNW : L’actualité du secteur en France est assez morose. Vous débutez votre mandat commun. Quels sont les aspects positifs et motivants dans la période actuelle ?

PFL : Ce qui nous motive, c’est l’incroyable transformation de notre industrie. C’est ce qui est palpitant. Sur les aspects de développement technologique, de développement durable, de relocalisation, de développement international… tout change ! Le cadre législatif change les les aspirations des consommateurs changent, les modèles de distribution changent. Ce qui nous motive c’est d’éclairer les entreprises sur ces transformations pour qu’elles soient le mieux à même de prendre les bonnes décisions.

LG : La transformation est en partie contrainte et il est vrai qu’en tant que présidents de fédération, nous aurions préféré avoir un marché où les entreprises étaient en expansion, cela rend les choses plus faciles et donne un état d’esprit positif. Mais justement nous voulons arriver à être utiles à un secteur dans lequel nous naviguons depuis longtemps qui nous intéresse et nous plaît.

PFL : La chance que nous avons dans cette transformation, c’est que nous comptons sur des ministres qui s’intéressent à nous. Tant du côté de la transformation écologique que de Bercy, nous sommes reçus et écoutés, avec un grand nombre de chefs d’entreprises auditionnés. Ils sont extrêmement attentifs à notre secteur.

Par Olivier Guyot  – Fashionnetwork – 28 mars 2024

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Grand entretien avec… Thibaut Ledunois, directeur de l’entrepreneuriat et de l’innovation à la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin.

« L’IA est un puissant levier de compétitivité pour nos entreprises ». A l’heure où l’intelligence artificielle envahit l’univers de la mode tout entier, Thibaut Ledunois nous dresse le panorama des transformations les plus impactantes, en rappelant les dangers mais aussi les atouts de l’IA pour la croissance et la compétitivité du secteur… Comment l’IA impacte-t-elle le secteur de la mode ? Le développement de l’intelligence artificielle connait une accélération totalement inédite et intègre désormais l’univers de la mode tout au long de la chaine de valeur, même si l’attention se concentre plus particulièrement sur la création. La solution imki intègre les studios de The Kooples, de nouvelles solutions issues de l’IA participent à différentes campagnes digitales mais en réalité, les principaux cas d’usage sont ailleurs. Dans le pilotage de la performance et l’aide à la décision (ndlr. NoStress), dans l’anticipation des achats et une gestion optimisée des stock (ndlr. autone, Centric), dans les recommandations de taille en e-commerce (ndlr. Kleep) ou encore dans l’optimisation des discounts et des pricings. L’IA va également transformer la façon de produire et l’ensemble de l’outil industriel avec une optimisation de la coupe (ndlr. Lectra) et des flux plus tendus. De plus, l’IA constitue également un levier de compétitivité pour les entreprises de mode françaises. Quels sont, à vos yeux, les principaux dangers de l’Intelligence artificielle ? Cet outil qui repose sur un usage massif de la donnée, encore faut-il savoir quelles données sont utilisées, par qui et pour quel objectif. Les marques de mode françaises et tout notre tissu industriel doivent prendre conscience que seules les entreprises qui sauront maitriser et protéger leurs données (gouvernance en interne, organisation, taxonomie, cybersécurité) pourront réellement tirer bénéfice de l’IA*. Celle-ci induit de vrais questionnements en matière de confidentialité, de souveraineté et de propriété intellectuelle, tout particulièrement dans un contexte de course internationale à l’innovation fortement lié à la géopolitique. Le principal danger est d’oublier la puissance exponentielle de ces outils et leur résonnance profondément politique. L’IA offre tout de même de nombreux atouts, comment les entreprises peuvent-elles en tirer parti ? Il s’agit d’une révolution technologique et industrielle comme nos industries en ont connu de nombreuses. Elle n’est donc pas une option, mais une réalité à prendre impérativement en compte dans le secteur ultra-concurrentiel qui est le nôtre. J’aimerais néanmoins que cette révolution technologique intègre également des réflexions sur les sujets de diversité et d’inclusion, permette une véritable révolution dans la décarbonation de notre secteur et ne serve pas simplement les intérêts de quelques-uns. Par ailleurs, on ne peut nier que l’intelligence artificielle est l’un des leviers les plus efficaces pour mieux gérer la rentabilité et les marges de nos entreprises. Dans cet esprit, le ministère de la culture associé à la Bpi et à la Banque des territoires vient notamment de lancer un appel à projet… Dans le cadre du plan France 2030, piloté par le Secrétariat général pour l’investissement en lien avec le Ministère de la Culture, avec la collaboration de Bpifrance et de la Banque des Territoires, un appel à projet a en effet été proposé jusqu’au 28 octobre prochain. Son objectif ? Soutenir les entreprises qui s’engagent dans la voie de la transition numérique grâce au développement de technologies innovantes telles que l’intelligence artificielle, la blockchain ou les solutions d’exploitation de données. Les entreprises ont tout intérêt à se pencher au plus vite sur cette opportunité, qu’il s’agisse des projets attendus, des critères d’éligibilité ou des modalités de soutien*. Comment voyez-vous la transformation du secteur dans les cinq prochaines années ? L’intelligence artificielle va sans doute bouleverser très rapidement la façon dont on achète sur internet. Les sites des marques vont être de plus en plus personnalisés – avec des personal shopper en ligne comme c’est le cas chez Zalando depuis fin 2024. Les agents conversationnels vont prendre une part de marché non négligeable des moteurs de recherche classiques dont Google. Comment va évoluer le SEO dans un agent comme Le Chat ou ChatGPT ? Où vont aller les investissements en SEA ? A qui va profiter ces assistants personnels créés et entretenus par des sociétés non européennes ? Le sujet de l’acquisition est également important. Les agences ads historiques font maintenant face à des IA propriétaires des réseaux sociaux qui optimisent l’investissement publicitaire. Difficile de voir l’avenir mais il s’annonce à coup sûr très différent de notre monde. *A consulter Pour l’appel à projet sur la transition numérique, rendez-vous sur cette page LinkedIn Live avec Extend Business Consulting - Démystifier la data : les 8 bonnes pratiques de gestion des données – janv 2025).  

L’IA peut-elle révolutionner l’industrie de la mode ?

Largement présente dans les champs de la création ou de la vente, l’Intelligence artificielle investit peu à peu l’ensemble de la chaine de valeur. Où se révèle-t-elle la plus efficace et comment en tirer parti ? Le point sur les multiples usages de l’IA avec les temps forts de l’enquête réalisée par la Maison du Savoir-Faire et de la Création, affiliée à l’UFIMH.   L'IA redessine les contours de l'industrie de la mode Si elle commence à se déployer dans la création de vêtements, le textile et la vente, l’intégration de l’IA dans la confection est encore limitée. Mais cela pourrait changer… L’intelligence artificielle (IA) pourrait révolutionner la mode. “Cette technologie est désormais mature. Nous ne sommes plus dans la seule phase de recherche mais dans celle de l’industrialisation. On peut y aller de manière confiante, il n’y a plus de verrous technologiques” assure Robby Dubus, responsable du développement de Textil’IA, une start-up créée en 2020 par la profession textile pour tirer parti de nouvelles technologies comme l’IA. L’idée ? Développer des applications répondant à des problématiques comme la demande de digitalisation, la lutte contre la contrefaçon, la valorisation de la créativité… Essor rapide en amont Comme le soulignait l’article “Texprocess 2024 se place sous le signe de l’IA”, paru dans le magazine M&T2, cette technologie était la vedette de la dernière édition du Salon international leader dans le traitement des matériaux textiles et souples. “L’IA a trouvé sa place et se développe très rapidement en amont : à savoir la création d’un produit avec tous les paramètres que cela comporte, ainsi que sa préparation. Il en est de même en aval jusqu’à sa vente. Mais pour la partie « dure », la fabrication et notamment la couture, c’est plus compliqué”, souligne le magazine. La mode s’intéresse ainsi de plus en plus au potentiel de l’IA. Mais aux étapes successives de la chaîne -création, production, distribution- les pionniers sont plus ou moins nombreux à avoir déjà testé ses possibilités. Création à la pointe Pour la création, la mode se montre à la pointe, comme l’explique Frédéric Rose, fondateur en 2020 d’IMKI, start-up spécialisée dans les solutions d’intelligence artificielle générative d’images, dédiées à tous les métiers des ICC (Industries Culturelles et Créatives). “Quand on a travaillé sur ces industries, le secteur ayant réagi le plus rapidement a été la mode. Celle-ci a en effet besoin que l’IA se spécialise dans le stylisme modélisme”. Pour affiner ses solutions, IMKI s’appuie à la fois sur des experts IA et métiers. “L’IA ne répète pas de choses. Nous prenons des IA qui ont appris à dessiner, nous améliorons leur entraînement sur des métiers et de ce fait, la justesse de leurs réponses. Nous sommes les seuls à avoir une telle approche”, affirme le dirigeant. Pour la mode, la start-up fait plancher des data-scientists et ingénieurs et ses quatre stylistes modélistes (prêt-à-porter femme, homme, sportwear ou “360 degrés”) pour entraîner l’IA à dessiner des vêtements. “On implique également des spécialistes métiers comme pour une capsule denim présentée à VivaTech 2024, améliorée par un expert externe”. Gain de temps assuré IMKI va plus loin dans le “sur-mesure” pour ses clients, comme The Kooples, avec qui elle a développé une capsule pour la collection hiver 2024-2025. “On apprend aux IA à comprendre un corpus artistique, les codes à prendre en compte pour aligner les dessins sur une marque. Cela peut être le logo, un motif, un fermoir typique pour un sac à main. On améliore ainsi la connaissance de l’IA en intégrant l'ADN de la marque”. De quoi aussi éviter un risque auquel les clients d’IMKI se montrent très attentifs : “faire en sorte que les données qu’ils utilisent pour entraîner leur IA ne relèvent pas de tiers, mais de leur propriété”. Pour leur donner la main sur l’IA, IMKI forme ainsi ses clients au “prompting”, soit la manière de lui donner des instructions. La question qui se pose : est-ce que l’IA peut remplacer l’humain pour la création ? Pour certaines tâches mais pas toutes, indique Frédéric Rose. “L’IA est imbattable en termes de vitesse d'exécution d’un dessin précis, par exemple, mais bien que hyper puissant, cet outil n’est cependant pas doué de volonté ni d’un “esprit de synthèse” de l’air du temps ou des tendances. Il a besoin d’un input créatif. Si le designer ne sait pas dans quelle sphère artistique l’emmener, l’IA ne sortira rien de bon”. “L'IA accélère le processus de création, améliore l’aide à la décision et permet de rapprocher le produit de la tendance finale et de la demande du client. Aujourd’hui, sans elle, on met 8 mois pour créer un produit après avoir détecté une tendance. Avec l’IA, on divise ce temps par trois”, conclut Frédéric Rose. Au service de la matière A l’amont de la chaîne mode, l’industrie textile s’est aussi emparée de l’IA. “Dès nos débuts, nous avons rencontré des experts en IA et listé les applications possibles pour créer des solutions innovantes à valeur ajoutée mais accessibles pour nos PME textiles. La profession investit dans ces solutions via Textil’IA avant de les déployer. Contrairement aux idées reçues, le coût de l’IA n’est pas exorbitant et l’utilisation assez vite rentable” explique Robby Dubus de Textil’IA. Textil’IA a déjà développé deux solutions intégrant l’IA. Son catalogue intelligent de produits en ligne permet depuis 2023 aux textiliens d’archiver digitalement leurs nombreuses créations : “on numérise leurs tissus pour les transférer vers la plateforme dotée d’outils de recherche fonctionnant à base d’IA”, explique Robby Dubus. L’utilisateur peut aisément faire des recherches parmi ses archives textiles parfois très nombreuses (plusieurs dizaines de milliers de motifs), via des mots clés ou par similarité avec une autre image, sans avoir besoin de catégoriser manuellement chacun des motifs lors de leur importation. “Ce catalogue intelligent permet de valoriser ses créations. Il facilite aussi les échanges entre fabricants et marques, en fournissant aux prospects un accès digital aux collections. L’IA générative va également permettre d’analyser leurs recherches et de leur faire soit des nouvelles propositions graphiques, soit des modifications des motifs textiles pour s’adapter à leurs besoins”. La deuxième solution à base d’IA signée Textil’IA facilitant une veille anti-contrefaçon se nomme LOCKEO Détection. Elle permet aux textiliens de faire de la reconnaissance d’images en comparant leurs dessins à ceux présents sur des articles textiles en ligne. “Pour une PME, il ne serait pas possible d’embaucher quelqu’un pour réaliser une telle veille sept jours sur sept et ce, sans même parvenir à ces résultats”. Transition digitale Le troisième outil développé par Textil’IA -ODITH- déjà testé par une quarantaine d’entreprises de la filière textile-habillement (dont des confectionneurs) et commercialisé dès ce mois de septembre, ne fonctionne pas encore avec l’IA. Mais cela n’est pas exclu qu’il l’utilise un jour. Son but est de faciliter la traçabilité en sécurisant la récupération, le stockage et la transmission des informations de fabrication des produits textiles. “Aujourd’hui, on est dans le déclaratif des fournisseurs. Avec l’IA, grâce au croisement des données, on pourrait vérifier la provenance d’un tissu, d’une origine de fabrication, cela permettrait d’améliorer la solution” indique Robby Dubus. De façon générale, il souligne que “l’IA débouche sur des solutions facilitant la transition digitale des entreprises. Sans IA, c’était ainsi impossible de digitaliser tout le patrimoine créatif des entreprises textiles !”. S’il n’est pas spécialisé dans la confection, Robby Dubus imagine “sûrement plein d’applications IA, avec des tâches (comme les patronages)” susceptibles “d’être largement optimisées grâce à l’IA”. Automatisation et précision L'expérience de Haase Innovation montre que l'IA peut en effet avoir un impact significatif dans la confection. Marine Anton, dirigeante de l'atelier, a récemment investi dans une machine de coupe automatique gérant les motifs placés avec caméra embarquée recourant à l’IA. “C’est très surprenant, la caméra va scanner le motif, on va placer le patronage sur l’ordinateur et la machine va faire en sorte que les motifs soient raccordés entre le dos et le devant”, explique-t-elle. Le gain de temps impressionne : alors que les salariées mettaient 17 minutes pour couper, à la main, un t-shirt avec motif placé, cela ne demande que 2 minutes 50 à la machine. Marine Anton précise que son intention initiale n’était pas “d’acheter la machine pour aller plus vite” mais de pallier une difficulté de recrutement. “Les personnes à la coupe partant bientôt à la retraite, nous avons essayé de les remplacer par des jeunes”. Mais ce “travail physique, debout, long et répétitif” attirait peu. Cela a servi de déclic pour investir dans la machine de coupe automatique et faire de premiers pas dans l’IA. Un choix que la dirigeante ne regrette manifestement pas, même si cela représente “sans doute le plus gros investissement jamais réalisé” dans l’atelier créé en 2014. L’IA s’intègre progressivement dans l’ensemble du processus produit. Bien qu'elle soit déjà en cours d'implémentation dans les phases de création et de sourcing matières, son intégration dans la confection, où l'intelligence de la main est cruciale, demeure complexe. Cependant, elle permet d'améliorer la compétitivité dans les étapes de fabrication qui ne requièrent pas de valeur ajoutée humaine. Pour en savoir plus sur les solutions citées: IMKI Textil'IA Haase Innovation   Retrouvez les articles du magazine en ligne de la Maison du Savoir-Faire et de la Création sur www.maisondusavoirfaire.com

3 questions à… Simon Peyronnaud, président et cofondateur de l’entreprise Losanje

« Pour tirer parti de lIA, il faut une stratégie globale » Dédiée à la production mode issue de lupcycling, Losanje a intégré lIA dès sa création en 2020. Cinq ans plus tard, cette société constitue un modèle unique et ultra-performant, offrant à des entreprises des solutions de fabrication de vêtements et daccessoires dans une démarche écologique et fiable sur le plan économique. Une réussite consacrée par le prix de linnovation de lAndam 2025. 1/ Pouvez-vous tout d’abord nous présenter votre entreprise ? Losanje est une solution de production. Nous travaillons avec des entreprises pour les aider à fabriquer des produits issus de l’upcycling grâce à une approche industrielle utilisant les premières technologies au monde de découpe automatisée de vêtements. Pour cela, nous avons deux approches. Soit nous participons à la revalorisation de l'existant -des invendus pour une marque de mode, des vêtements de travail, des bâches publicitaires… soit nous proposons de réaliser pour elles un sourcing de produits finis, par exemple, des jeans issus de centres de tri, des sweats ou des T-shirts, qui serviront ensuite de matière première pour leur futurs produits upcyclés. Nous avons créé Losanje en 2020 en commençant par lancer notre propre marque, avec de petites collections de hoodies, jeans, pantalons de travail, T-shirts…. Un vestiaire assez sobre car nous voulions montrer que, loin des traditionnels patchworks ou des podiums, la démocratisation de l'upcycling passait par l'invisibilisation de la méthode de fabrication. Dès 2022, nous nous sommes lancés, après une première levée de fonds, dans la R&D autour du développement de technologies spécifiques à la découpe en upcycling. Depuis 2023, nous nous consacrons exclusivement à cette activité B&B. 2/ Comment utilisez-vous l’IA dans votre entreprise ? Nous avons tout d’abord introduit l'intelligence artificielle dans une volonté de performance économique. Nous demandons notamment à l’IA de perfectionner nos schémas de production au niveau de la coupe pour faire de l'optimisation de matières et réduire les coûts. Grâce à l’'intelligence artificielle générative, nous offrons aussi à nos clients des prévisualisations des produits qu'ils souhaitent développer, leur permettant de se projeter plus facilement. Tous ces éléments viennent au service de la performance environnementale. Plus nous arrivons à convaincre de la pertinence de notre solution, plus on convainc nos clients de favoriser l’upcycling, et donc l’économie circulaire, à des solutions de production traditionnelles. Et rappelons que nos vêtements et accessoires produisent en moyenne 95% d'émission de CO₂ en moins que des produits standards. Par ailleurs, les utilisations de l’IA sont très nombreuses et participent à l'optimisation des enjeux de production, de coupe, d'utilisation de matières…. 3/Quels conseils donneriez-vous pour une utilisation efficace et raisonnée de l'IA ? L’IA est centrale dans la construction et le développement de notre entreprise et nous l’avons d’emblée pensée dans une stratégie globale -sociale, écologique, financière. L'implémentation s'est d'abord faite autour de la production avec la volonté de réduire les coûts pour rivaliser avec l'industrie traditionnelle linéaire. Nous avons ensuite implémenté l’IA dans les fonctions de sourcing, de stylisme…. Et petit à petit au niveau de nos fonctions support -marketing, communication et certaines tâches commerciales très répétitives et souvent peu valorisantes pour nos salariés. Cette stratégie globale est, selon moi, la best practice numéro un. Il faut d’emblée penser comment, à quelle étape et pourquoi on implémente de l’IA. Certaines entreprises vont d’ailleurs jusqu’à recruter un salarié dont la seule fonction est de concevoir une stratégie d’implémentation pour traiter de façon globale tous les sujets. Cela montre à quel point la méthode et la « big picture » sont indispensables à la réussite d’un projet d’implémentation de l’IA dans les pratiques d’une entreprise. Pour en savoir plus: www.losanje.com

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