Grand entretien avec… Isabelle Lefort, co-fondatrice et directrice de l’association Paris Good Fashion
« Nous voulons penser et agir ensemble pour une mode durable »
Fondée en 2019 pour faire de Paris LA capitale de la mode durable et accélérer la transition environnementale, l’association vient tout juste d’organiser son premier Mid Summer Camp. L’occasion de partager connaissances et bonnes pratiques et réfléchir, ensemble, au demain du secteur. Le point avec Isabelle Lefort, à l’initiative de l’événement.
Vous venez d’organiser votre premier Mid Summer Camp, destiné à réunir des acteurs impliqués dans la transition écologique du secteur. Quelle était l’ambition de cet événement ?
Il y a tout juste 6 ans, nous avons créé Paris Good Fashion pour faire de Paris LA capitale de la mode durable. Depuis, nous n’avons cessé de relever ce défi mais il reste beaucoup à faire alors que le dérèglement climatique est plus manifeste que jamais. Face à cette urgence, il nous a semblé indispensable de réunir l’ensemble des acteurs avec une conviction. Pour mener des actions communes, il faut partager connaissances et expériences, penser ensemble le futur que nous voulons donner à la mode.
Premier temps fort de l’événement, un état des lieux des avancées en matière de transition écologique, mais aussi des défis qu’il reste à relever…
Depuis 2019, il y a indéniablement eu d'énormes progrès. Les acteurs de la mode échangent désormais sur ces sujets et mènent des combats ensemble, notamment face aux effets dévastateurs de l’ultra-fast fashion ; lutte pour laquelle l’UFIMH a été en première ligne. En revanche, nous sommes dans un contexte qui s’est durci. Les sujets se sont complexifiés et nous devons faire face à un moment de backlash des thèmes écologiques, alors qu'il est capital d'accélérer pour des raisons environnementales, mais aussi économiques. Si nous ne voulons pas nous fermer le marché chinois qui, lui-même, s’empare de ces thématiques, il faut absolument accélérer la transition en termes d'éco-conception, de traçabilité, de réduction de l'impact de production… C’est toute l’ambiguïté de la Chine. Des marques comme Shein s’y développent. Dans le même temps, le pays entend appliquer, à la lettre, une réglementation proche de la législation européenne d’ici 2027. Les entreprises qui ne seront pas alignées risquent de perdre ce marché.
Vous avez ensuite dévoilé le résultat d’une étude autour de la décarbonation. Pouvez-vous nous la présenter ?
Nous travaillons depuis deux ans sur le sujet et venons de présenter une trajectoire inédite. Elle a tout d'abord été réalisée avec l’appui de 25 entreprises (chiffre jamais atteint) qui ont accepté de communiquer leurs résultats. Le sujet a ensuite été abordé par segments (luxe, premium, mass market) alors que toutes les trajectoires sont aujourd’hui pensées de façon globale, ce qui gomme les différences pourtant importantes entre ces segments.
Partant de cette analyse, vous avez également énoncé différents leviers d’action…
Nous avons établi une trajectoire à 2030 alignée sur l'accord de Paris et la volonté de ne pas dépasser 1,5°de hausse de température. Grâce à cette étude, on sait que le luxe devrait réduire de 1% ses volumes de vente pour être en phase avec l’objectif, le premium rester sur une même trajectoire et le mass baisser drastiquement. Partant de ces constats, nous allons travailler collectivement sur la traçabilité, l'identification et l'implication des sous-traitants, la réduction de l'impact de la production. Nous nous concentrerons aussi sur les liens finance-RSE, parce qu'il faut à la fois réduire l'impact environnemental et augmenter la performance des entreprises. Enfin, nous prévoyons l’organisation d’une seconde consultation citoyenne lancée dès la rentrée (après celle de 2020) car on ne pourra réussir que si on implique les consommateurs.
Cet événement proposait également des conférences avec de jeunes créateurs, très investis…
Nous avons en effet imaginé un atelier avec Nathalie Dufour, fondatrice et directrice de l'ANDAM qui s’est entourée de jeunes créateurs pour qu’ils puissent partager leurs bonnes pratiques. L’occasion aussi de rappeler que la mode est une industrie créative et que les designers doivent être impliqués dans cette transition écologique. Les entreprises ont trop longtemps travaillé en silo, à l’écart des créateurs. Nous l’avons vu lors de cet atelier, la question du développement durable fait désormais partie intégrante de leurs préoccupations, et de leur démarche créative.
Vous avez pensé ce Mid Summer Camp comme un rendez-vous pérenne, une sorte de GIEC de la mode. Comment envisagez-vous la suite ?
Nous sommes tout d’abord très satisfaits de la participation à l’événement. 250 personnes étaient présentes pour la journée professionnelle, plus de 300 lors de la journée grand public. Pour une première fois, c'est très prometteur. Nous allons prévoir la seconde édition autour du 10 juillet 2026. Nous nous calons ainsi sur le dernier jour de la Fashion Week parisienne que nous pourrions accompagner par un événement dans ce lieu extraordinaire qu’est le Domaine de Chaalis. Un symbole du patrimoine environnemental et culturel, impliqué lui aussi dans les questions de durabilité et de biodiversité. Un lieu d’une grande beauté et très inspirant, idéal pour partager nos expériences, et faire émerger de nouvelles idées.
Pour en savoir plus: https://parisgoodfashion.fr/fr/