Actualités
Le grand entretien avec… Frédéric Maus, Président du salon Who’s Next.
Who’s Next, un catalyseur de transactions, et d’inspirations.
C’est l’un des événements majeurs pour l’ensemble de la filière, notamment depuis l’importante croissance de ses visiteurs étrangers. Président du salon Who’s Next, Frédéric Maus nous dresse le bilan très éclairant de l’édition de septembre dernier. Nombre de visiteurs, nouveautés 2025, grandes tendances du secteur en termes de développement ou de distribution… Le point sur les axes-clé qui ont signé l’événement.
Le salon s’est déroulé du 6 au 8 septembre dernier dans un contexte géopolitique assez chahuté. Quel regard portez-vous de cette édition ?
En dépit de la période difficile, le bilan s’est révélé très positif pour nos trois entités. Who’s Next s’impose désormais comme LE rendez-vous international de la mode et du retail. Bijorhca confirme son rôle de référent pour la joaillerie et Interfilière Paris est devenue une plateforme internationale incontournable en termes de sourcing et d’innovation textile. Côté visiteurs, nous avons enregistré une progression globale de 3%, portée notamment par nos partenariats stratégiques avec Ankostore (plus de 300 000 détaillants) et l’intégration de PagesMode (plus de 25000 boutiques référencées).
En termes d’exposants, la tendance est identique. Plus de 1300 marques et fournisseurs ont répondu à l’appel et l’on observe une progression significative du marché international (37% France et 63% étranger). Le tout avec de nouveaux entrants, ce qui atteste de l’intérêt grandissant pour l’événement. Ces 1300 marques correspondent au nombre maximum pour la superficie du grand hall de la Porte de Versailles. Cette donnée n’est pas une contrainte mais une opportunité, qui permet d’affirmer notre rôle de curator via notre comité de sélection, et de déployer une offre en phase avec les attentes de nos acheteurs en termes de savoir-faire et de vitalité créative. Grâce à ce nombre restreint, nous restons un salon à taille humaine avec une expérience de visite unanimement appréciée… Même si Who’s Next s’impose comme le leader européen des salons pour la mode et les accessoires féminins : l’écosystème parfait pour remplir les carnets de commandes.
Who’s Next est aussi un laboratoire d'idées et de prospective. Quelles évolutions avez-vous constaté pour ce cru 2025 ?
Les collections printemps-été 2026 présentées étaient évidemment très variées mais on pouvait repérer quelques lignes de force, notamment un goût affirmé pour des palettes de couleurs joyeuses et bien vivantes. Une façon de rappeler le côté résilient de la mode, sa capacité à l’optimisme et à l’énergie, y compris dans un contexte plutôt morose. Autre observation positive, un engagement toujours soutenu pour l’éco-responsabilité, en dépit du backlash dont on parle beaucoup. Les enjeux écologiques restent une donnée incontournable pour les marques, induisant de nouvelles façons d'aborder la création.
Enfin, nous avons observé une tendance grandissante à l’hybridation des modèles, qui semble plus que jamais la clé de croissance des industries créatives. Beaucoup de marques, nées en ligne, perçoivent aujourd’hui les limites de cette démarche et se tournent vers le wholesale et le réseau français de 14 000 détaillants multimarques. Ce canal historique de la mode, solidement installé et sans frontières, demeure la colonne vertébrale de la distribution mondiale. Pour les marques traditionnelles en revanche, un réseau de boutiques en propre devient souvent un investissement très lourd, ce qui les incite à se tourner vers le digital pour assurer leur croissance, tout en conservant le wholesale pour sécuriser volume et visibilité.
Le salon se veut également un laboratoire de réflexion avec des prises de parole, des conférences…
Notre Creative Hub a proposé une matériauthèque et des démonstrations de savoir-faire avec des focus couleurs, devenant un vrai laboratoire d’idées et d’innovation au cœur du salon. Who’s next Lab a prolongé cette dynamique en explorant des formes émergentes de création : impression 3D, IA générative et modélisation, matériaux bio-inspirés, design expérimental. Ces expériences se sont enrichies de formats culturels avec, notamment, la célébration des 40 ans du magazine de design Intramuros. Enfin, la WSN Academy a ajouté une dimension plus stratégique avec une série de conférences et de débats d’experts co-organisés avec la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin (membre de l’UFIMH), valorisant un écosystème solide de partenaires institutionnels et professionnels : Francéclat, Comité Français de la couleur… Autant d’événements qui attestent que Who’s Next n’est pas seulement un lieu de transaction mais aussi un catalyseur d’inspiration. Un rendez-vous qui mêle créativité, innovation et idées neuves pour penser l’avenir des filières.
Le salon a également fait l’actualité avec le lancement de Who’s Next Home et du parcours Sourcing & Solutions. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Who’s Next Home est né d’un constat, la convergence croissante entre mode et design. La rencontre de ces deux univers s’exprime notamment par les déclinaisons déco et design de nombreuses marques mais aussi par des modes de création très proches, l’inventivité de la mode venant souvent servir le dessin des objets du quotidien. De nombreuses marques proposent désormais des boutiques pensées comme des concept-stores, des lieux de vie avec des pop’up et de multiples univers, ce qui correspond à l’attente des consommateurs. Forts de ces observations, nous avons pensé cette entité Who’s Next Home avec la présence d’une cinquantaine de marques qui revendiquent une création artisanale et engagée, le tout organisé dans une scénographie immersive ; un espace d’inspiration à part entière.
Dans le même temps, nous avons lancé le parcours Sourcing & Solutions pour faciliter les recherches des professionnels et connecter toute la chaîne de création, de la matière première au produit fini. Au cœur de ce parcours, le Creative Hub a réuni innovation et savoir-faire, prouvant que le sourcing - longtemps perçu comme une simple étape technique- s’impose désormais comme un vrai moteur de différenciation et de création de valeur.
Vous préparez déjà la prochaine édition du salon, en janvier prochain. Pouvez-vous nous donner en avant-première, quelques informations ?
Nous allons poursuivre notre implication dans le domaine du design avec la montée en puissance de Who’s Next Home qui deviendra Shoppe Object Paris, en association avec le groupe américain Andmore, exploitant d’espaces d’exposition et de showrooms haut de gamme. L’objectif ? Faire de l’entité un “salon dans le salon” et organiser ensemble des événements internationaux autour du design et du retail. Pour le reste, nous aimons garder le secret car la profession vient à Who’s Next pour vivre un moment un peu extraordinaire et nous essayons d'être aussi créatifs que les gens qui nous font confiance. La surprise est donc essentielle mais je peux vous déjà dévoiler le nom de cette prochaine édition : Room 01 26.
Retrouvez informations et dates de la prochaine édition sur le site : www.whosnext.com
Programme Trait d’Union, un appel à candidatures pour promouvoir le Made in France.
Vous êtes à la tête d’une entreprise et vous souhaitez vous restructurer autour du Made in France ? Profitez d’une opportunité rare avec l’appel à candidatures pour le programme Trait d’Union qui se clôturera le 3 novembre prochain. Créé à l’initiative de PROMAS, la Maison du Savoir-Faire et de la Création (MSFC), le Groupement de la Fabrication Française (GFF), membres de l’UFIMH et avec le soutien du DEFI, ce programme permettra à cinq marques de mode françaises, créatives et engagées, de bénéficier d’un accompagnement personnalisé de qualité vers le Made in France.
“Réactiver le dialogue parfois oublié entre créateurs et fabricants, essentiel à l’histoire d’un vêtement Made in France” : c’est l’objectif de Trait d’Union, le tout nouveau programme visant à accompagner “des marques de mode dans une démarche de production plus locale, responsable et engagée, en facilitant des collaborations concrètes avec des façonniers français aux savoir-faire d’exception”, exprime Hervé Huchet, directeur international de PROMAS.
Le 8 octobre dernier a été lancé l’Appel à Candidatures, qui se clôturera le 3 novembre à minuit, permettant de sélectionner cinq marques françaises créatives qui bénéficieront de ce “Trait d’Union”.
Une opportunité de développement pour les marques françaises
Le projet est porté à la fois par PROMAS, l’Office de Promotion de l’Habillement Masculin, membre de l’Union Française des Industries Mode & Habillement (UFIMH), en collaboration avec la Maison du Savoir-Faire et de la Création (MSFC), le Groupement de la Fabrication Française (GFF) et ce, avec le soutien du DEFI. Représentées au sein d’un jury, qui se réunira le 21 novembre prochain - et devant lequel les marques présélectionnées viendront présenter leur projet - ces différentes structures choisiront les 5 lauréats qui seront officialisés le 27 novembre. Avec un top départ de Trait d’Union prévu le 6 janvier 2026 !
A la clef : un programme sur mesure déployé pendant un an avec l’objectif de “faciliter des collaborations entre marques et façonniers pour la réalisation de leur collection Printemps-Été 2027”. En bref, du coaching personnalisé pour des “marques qui veulent faire beau, juste et français” ! Non seulement les heureux élus seront assistés “pas à pas dans leur démarche de production locale, alliant exigence créative et maîtrise du geste”, mais ils bénéficieront aussi de la visibilité média grand public donnée au programme. Pour le couple marque-fabricant du Made In France, l’opération est “gagnant-gagnant”.
Un accompagnement sur mesure
“Nous donnerons aux cinq marques de mode sélectionnées les clés du succès pour le développement, la production et la distribution de leur collection et nous allons promouvoir ces entreprises ayant fait le choix du Fabriqué en France. Notre objectif est également de tisser des liens durables entre marques créatives et façonniers français tout en valorisant les savoir-faire d’exception des ateliers de confection du territoire auprès des marques de mode et du grand public”, souligne Sylvie Maignan, responsable de la MSFC.
En effet, les cinq lauréates du programme auront accès à 12 mois de coaching et de masterclass dispensés par plusieurs experts sur les sujets de sourcing, de gestion de collection et de production mais également sur les stratégies marketing, financières et commerciales. Au cœur du dispositif, sera mise en place une équipe de trois coachs dédiés respectivement à l’audit et à la coordination de projet, à la production et enfin, au commerce Wholesale et Retail. Cet accompagnement sera “cousu main” pour chaque marque, permettant ainsi de coller à ses problématiques, identifiées lors d’une phase d’audit. Il comprendra un suivi opérationnel afin de structurer durablement ses collections en cohérence avec une confection française.
Les critères de candidature
Pour pouvoir candidater, plusieurs conditions doivent être réunies : être une marque de mode française avec au moins trois ans d’ancienneté, dont le chiffre d’affaires a été de 500 000€ H.T minimum en 2024, afficher un bilan positif et être à jour de la taxe DEFI. Il se peut qu’elle n’ait pas encore, jusqu’ici, fait fabriquer de modèles dans l’Hexagone, mais elle doit s’engager à y produire au moins un tiers du CA H.T. de sa future collection Printemps/Été 27 (Homme, Femme ou Unisexe) avec un ou plusieurs façonniers partenaires. Laquelle collection doit proposer 60 % minimum de chaîne et trame.
Du côté des façonniers : un appel à manifestation d’intérêt
Ce déploiement du Made in France passera par des mises en relation qualifiées avec des professionnels de la fabrication française reconnus pour l’excellence de leurs savoir-faire, qui seront assurées par les équipes du GFF et de la MSFC. Un appel à manifestation d’intérêt sera ainsi lancé par ces deux acteurs auprès des plus de 300 façonniers référencés sur la plateforme de la Maison du Savoir-Faire et de la Création, afin d’obtenir les combinaisons idéales “marques-façonniers”. Ce processus, accompagné de conseils personnalisés dans le choix des bons partenaires, vise à favoriser des collaborations engagées et cohérentes avec les besoins des lauréats sélectionnés. A ce titre, une charte d’engagement moral tripartite entre la marque, le fabricant et les organisateurs sera signée.
Une ambition grand public : le Made in France, source de créativité
Enfin, Trait d’Union comprend un plan de communication grand public qui valorisera le Fabriqué en France, en donnant la vedette aux marques et façonniers participants. Le programme Trait d’union souhaite casser les codes de perception du Made in France, en montrant une image qualitative et créative qui s’inscrit entre héritage des savoir-faire et modernité de l’appareil productif des façonniers. Une campagne de communication permettra de “suivre les parcours croisés des marques et des fabricants dans un esprit narratif à travers des contenus audiovisuels diffusés sur les réseaux sociaux”. Des photos, vidéos et autres vlogs des ateliers et créateurs mettront aussi des visages sur la fabrication et création françaises. Une façon très visible, sur le terrain, de faire connaître l’opération et le talent de ces acteurs.
“Trait d’Union ne cherche pas à réinventer la mode, mais à la réenchanter. En valorisant la créativité des marques et les savoir-faire des ateliers français, en favorisant la relocalisation, en misant sur la collaboration et la transparence. Le programme esquisse une nouvelle culture de mode, celle du temps, du geste, et du lien ”, Sylvie Maignan, responsable de la Maison du Savoir-Faire et de la Création.
Pour postuler au programme : https://traitdunion-mode.fr
3 questions à… Violaine Moreau, responsable de marché Femme aux Galeries Lafayette.
« La mode se reconnecte aujourd’hui à la vie réelle, au style de vie »
En charge des achats pour la mode femme aux Galeries Lafayette, Violaine Moreau est l’une des observatrices les plus expertes de ce marché. Pour l’UFIMH, elle nous dévoile les temps forts de la prochaine saison 2026.
1/ Le salon Who’s Next de septembre 2025 vient de dévoiler les tendances mode du printemps-été prochain. Pouvez-vous nous en présenter les grands axes ? Qu’est-ce qui vous a séduit et quelles pièces vous semblent déjà cultes ?
Cette saison, le salon a infusé une véritable énergie de renouveau ! L’été 2026 s’annonce sous le signe d’une féminité assumée, avec un vestiaire dressy et joyeux, après plusieurs saisons marquées par le minimalisme. La palette de couleurs se veut lumineuse et optimiste : jaune, vert tendre, bleu ciel, rose pastel, des teintes claires mais vibrantes. En parallèle, des nuances plus chaudes et terreuses - marron, ocre, doré - viennent ancrer la silhouette dans un esprit naturel et solaire, avec quelques touches flashy qui viennent réveiller l’ensemble.
Les matières sont fluides et sensuelles : popeline légère, dentelle, crochet, touche de sequins pour le soir. On ose désormais le mix & match : rayures, pois, carreaux, imprimés décalés, jeux de textures… tout se mélange avec élégance. Côté formes, on observe le grand retour de la robe et du mini (mini-short, mini-jupe) avec une influence seventies et des coupes trapèze.
Les pièces cultes de l’été 2026 ? La robe sous toutes ses formes, le polo à rayures, les ensembles chemise + short ou pantalon matchy-matchy, la veste, le legging qui sculpte le corps et les maillots ou bodys que l’on assume désormais à la ville comme à la plage.
2/ Tout ceci contribue à faire évoluer l’allure, une façon de porter la mode. De quelles façons ?
On observe une évolution vers davantage de féminité et de douceur. L’allure devient plus fluide, plus instinctive. Les femmes n’ont plus envie de silhouettes trop construites. Elles recherchent une élégance naturelle, un chic sans effort, mais teinté de gaieté. Le vestiaire se veut à la fois confortable, désirable et joyeux - une mode qui fait du bien, tout simplement.
3/ Vous êtes aujourd’hui une observatrice privilégiée des désirs des consommatrices. Quelles sont leurs attentes ? Comment ces nouvelles collections s’attachent-elles à y répondre ?
Aujourd’hui, les clientes recherchent avant tout des vêtements dans lesquels elles se sentent bien, des pièces confortables, faciles à porter, mais qui restent jolies et actuelles. Elles sont attentives aux matières, à la polyvalence des pièces, à la durabilité des collections. La mode retrouve aujourd’hui sa dimension émotionnelle : elle se reconnecte à la vie réelle, au style de vie. Elle n’est plus seulement une affaire d’image, mais aussi de bien-être et d’attitude.
Grand entretien avec… François Chimits, responsable de projets Europe à l’Institut Montaigne & Pierre-François Le Louet, co-président de l’UFIMH et vice-président d’IFM ALUMNI.
Comment diriger une marque de mode dans un contexte politique incertain ?
Les Rencontres de Faverolles organisées par IFM Alumni ont réuni, le 13 septembre dernier, plus de 400 professionnels pour penser l’avenir du secteur. Echanges avec des experts internationaux, partages d’expériences entre créateurs et dirigeants d’entreprises… Le point avec François Chimits et Pierre-François Le Louêt sur les leçons à tirer de cette journée pour mieux comprendre les soubresauts du monde, et protéger la pérennité de nos entreprises.
1/ Comment définissez vous le contexte politique du moment, et quelles en sont les conséquences pour le secteur ?
FC Nous vivons une période d'extraordinaire instabilité en matière de politique économique à l’international, ce qui entraine nos entreprises dans une dynamique d'Incertitude sur la quasi-totalité des marchés à l'export. Ceci s'explique par deux phénomènes. Le premier est la politique américaine de Donald Trump qui signe le retour d'un protectionnisme sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais aussi le goût d’un président pour l'Incertitude. Cette instabilité orchestrée lui permet de se positionner au cœur de l’actualité et dans la lumière, dans un rôle de dealmaker-clé pour
la marche du monde. Ceci se double d’un autre mouvement, déjà à l’œuvre avant l’ère Trump et certainement plus durable que lui. Les États-Unis sont à l’évidence moins ouverts sur le monde et moins enclins à endosser le rôle de gendarme de celui-ci. Ce désengagement, même partiel, remet en question la sécurité des européens, a fortiori dans un monde plus instable.
PFLL L’instabilité touche également notre pays avec une succession de gouvernements assez inédite. Toutefois, l’ensemble du spectre politique a récemment pris conscience de l’urgence d’agir. Le parlement a voté à l’unanimité la loi visant à réduire l’impact environnemental de la mode, ce dont nous nous réjouissons. Nous attendons dans les jours qui viennent l’avis de la commission européenne avant de réunir une commission mixte paritaire qui statuera sur le texte définitif.
2/ Ceci vaut pour les Etats-Unis mais l’autre grand facteur d’incertitude est la Chine….
FC C’est tout à fait juste et, contrairement à une Maison Blanche qui met en scène la furie Trumpienne, le pouvoir chinois cherche à masquer la réalité de ses stratégies et de ses ambitions. Depuis l’avènement de Xi Jinping, le système économique est totalement orienté vers le développement de sa base techno-industrielle. La consommation domestique n’est plus une priorité et ne suit pas. Le décalage entre des investissements massifs et une consommation qui patine entraine des surcapacités massives qui viennent inonder le marché mondial. La conjonction des déréglements de ces deux géants déstabilise profondément la mondialisation dans son ensemble et les acteurs européens en particulier. On peut considérer que si Trump est une forme de tempête sur la mondialisation, la Chine de Xi en est le changement climatique.
PFLL Les plateformes chinoises inondent en effet le marché de leurs produits causant une crise économique, environnementale et sociale importante en Europe. Cela ne peut pas durer. La Chine a des ambitions très fortes concernant la réduction de son impact carbone et, plus généralement, a pris conscience que sa production devait être plus en accord avec le respect de l’environnement. La réduction des importations d’habillement à bas prix pourrait lui permettre d’atteindre ses objectifs. Nous devons l’aider à prendre conscience de cette nécessité.
3/ Face à ces interrogations, comment les entreprises peuvent-elles réagir ?
FC La meilleure attitude face à l'incertitude, c'est l'agilité. Une capacité d'organisation et de prise de décisions rapide ; une capacité de transgression des silos traditionnels de décisions. Ceux-ci doivent évidemment être maintenus pour la marche habituelle des affaires, mais doivent se voir adjoindre des canaux de décisions et de communication d'urgence pour favoriser la réactivité. L’autre clé de cette agilité, c'est l'information. Il est indispensable d'investir dans la capacité à collecter et analyser l'information, ce qui impose une veille de qualité. Par ailleurs, il est essentiel, dans la mesure du possible, de diversifier à la fois ces marchés et ces approvisionnements.
PFLL Malgré ce contexte extrêmement difficile, la singularité et la désirabilité des marques françaises continuent d’être un de nos atouts majeurs. Des marques souffrent, d’autres continuent heureusement de bien se porter. Toutes sont engagées dans une transformation profonde de leur modèle pour qu’il soit plus en phase avec les attentes sociales des consommateurs et le respect de l’environnement. Nous sommes fiers de ces valeurs qui sont des piliers du succès de nos marques et nous continuerons à les défendre.
4/ Dans un tel contexte, comment penser demain ?
FC Il importe de ne pas céder au pessimisme tout en acceptant, avec lucidité, que le monde offre désormais – et sans doute durablement- plus de défis que d'opportunités. Face à cela, il faut investir avant tout dans ses capacités internes à y faire face. J'insiste une fois de plus sur ces dimensions d'agilité et de diversification. Lorsqu’on observe la marche des entreprises dans différents secteurs, on constate que ce sont les deux grands facteurs de succès, ou en tout cas de sur-performance, dans ces périodes de volatilité. On doit donc apprendre à riposter au plus vite, tout en élaborant des stratégies sur le temps long.
PFLL La mode, c’est avant tout la création et ce moteur créatif n’est pas prêt de s’arrêter. Notre industrie est aux avant-postes de la modernité, elle montre la voie à des dizaines d’autres industries. Ce que nous vivons est très difficile mais ce n’est pas la première fois ni la dernière que nous vivons des crises. L’agilité est dans nos veines et nous sommes mieux armés que d’autres pour faire face à ce nouvel environnement parfois hostile.
Quelles sont ces stratégies ?
FC La principale est de se tourner vers d’autres marchés, même si les Etats-Unis offrent encore des opportunités à exploiter. Il existe un certain nombre de pays qui partagent notre préférence pour une marche du monde plus stable et qui, par ailleurs, s’inscrivent dans de vraies dynamiques de croissance. Je pense au Moyen-Orient, aux marchés encore émergents d'Asie du Sud-Est, à l'Inde et à l'Amérique du Sud où certains acteurs, notamment le Brésil, performent plutôt bien. Ces marchés n’ont pas encore une taille suffisante pour se substituer aux deux acteurs évoqués précédemment, mais ils offrent des perspectives de développement à court terme et des réelles possibilités d'expansion à long terme, grâce notamment à leur démographie.
PFLL Avec le soutien du DEFI, nos fédérations sont extrêmement actives à l’international et ne cessent d’innover en proposant de nouveaux formats, de nouveaux territoires à découvrir. Les acteurs de la mode française ne doivent pas hésiter à se rapprocher des équipes internationales de nos fédérations. Elles les guideront dans la conquête de ces nouvelles opportunités…
Mode ultra-express… les fédérations européennes du textile et de l’habillement s’engagent dans une mobilisation commune.
Face au danger que représente la montée en puissance de la mode-ultra express, les industries européennes du secteur ont décidé d’unir leurs forces pour exiger de l’UE des actions d’urgence autour de deux axes. Freiner l’essor des plateformes asiatiques comme Shein et soutenir les entreprises qui, a contrario, investissent dans la durabilité, la qualité et l’innovation. Retrouvez, dans son intégralité, le texte de cette déclaration commune signée par l’ensemble des fédérations européennes le 16 septembre dernier, durant le salon Première Vision.
Déclaration des Fédérations Européennes
du Textile et de l’Habillement
Les fédérations européennes du textile et de l’habillement constatent avec une vive inquiétude la montée en puissance de la mode ultra-express, alimentée par les plus grandes plateformes de e-commerce de pays tiers, qui représente d’ores et déjà, avec 4,5 milliards de colis importés en 2024 dans l’Union européenne, environ 5% des ventes (20% sur internet), et est en forte croissance. Contrairement aux entreprises et commerçants qui contribuent à un développement socio-économique de qualité dans toute l'UE, la mode ultra-express aggrave les déséquilibres environnementaux, économiques et sociaux :- Elle génère une surproduction de vêtements à durée de vie extrêmement courte, entraînant une hausse sans précédent des déchets textiles et de la consommation d’habillement.
- Elle exerce une pression intenable sur les entreprises européennes, particulièrement les PME, qui s’efforcent de respecter des normes environnementales, éthiques et sociales exigeantes.
- Elle menace les commerces dans toutes les agglomérations de l’Union, accélérant la désertification des centres-villes.
- Les États membres de l’Union européenne à adopter des mesures visant à limiter la mise sur le marché de produits issus de la mode ultra-express et à soutenir activement les entreprises qui investissent dans la durabilité, la qualité et l’innovation.
- Les institutions européennes et les États-Membres à inscrire la lutte contre la mode ultra-express dans leurs priorités, en œuvrant sans délai à :
- Les consommateurs européens à privilégier les produits durables et à soutenir les entreprises et les marques engagées dans une transition responsable du secteur textile et habillement.
Chez Grandis, la réussite passe par l’alliance des savoir-faire…
Sous l’impulsion de son directeur général, Marc-Antoine Juvin, ce groupe tisse un modèle original qui mêle excellence artisanale, ancrage territorial et engagement social ; le tout avec succès puisque les ateliers Grandis produisent désormais des vêtements d’exception pour les plus grandes maisons du luxe français. Notre enquête réalisée par la Maison des Savoir-Faire et de la Création, affiliée à l’UFIMH.
Pour les Ateliers Grandis, tout commence en 1993, lorsque Daniel Juvin – président du groupe et père de l’actuel directeur général – reprend un atelier en liquidation. À contre-courant de la vague de délocalisations, il fait le pari audacieux de préserver les savoir-faire français liés à la confection pour les grandes Maisons. “Mon père s’est dit qu’il y avait un positionnement à prendre sur le luxe car cela requiert des savoir-faire rares et une proximité avec les studios de création”, raconte Marc-Antoine Juvin.
Le premier atelier, rapidement renommé Grandis, pose les bases d’une aventure entrepreneuriale singulière, construite autour de la sauvegarde d’ateliers souvent en difficulté, sans repreneur et/ou susceptibles de subir la délocalisation, “On était dans un univers atomisé où il y avait plein de petits ateliers de maximum 45 personnes avec une cheffe d’atelier qui gérait tout”, explique le dirigeant. L’approche est humaine autant qu’économique : “ce sont des beaux métiers, il faut se battre pour les garder en France. Il est nécessaire de préserver la richesse de notre territoire”.
En 2016, Marc-Antoine Juvin, alors jeune diplômé d’école de commerce, passé par une grande enseigne du retail français, décide de revenir aux sources : “ce qui est important pour moi, c’est mon territoire, la famille, retrouver mes racines”, explique-t-il, même si “avec mon père, on a toujours dit que la reprise de l’entreprise n’était ni un droit ni un devoir”. C’est ainsi qu’il rejoint le groupe et commence au cœur du métier : dans l’atelier. “J’ai appris pendant plusieurs mois dans l’atelier en travaillant à la coupe. Puis, j’ai étudié les outils de production, de prévision et donc élaboré des outils de planification. A partir de ce moment-là, j’ai plutôt travaillé sur la partie système d’information”, témoigne Marc-Antoine Juvin. Aujourd’hui, c’est par une grande volonté qu’il impulse un projet d’entreprise où chaque collaborateur est associé à la vision : “On a réuni un groupe de travail pour impliquer tout le monde dans notre écosystème groupe. C’est beau de parler stratégie, mais il faut qu’elle ait une âme !”.
Préserver les savoir-faire, réinventer les métiers, valoriser l’humain
Chez Les Ateliers Grandis, préserver les savoir-faire est un engagement stratégique, une promesse faite aux artisans et aux prestigieux clients. Le groupe cultive dans ses quinze ateliers une mosaïque de métiers d’excellence : le savoir-faire flou, l’art du tailleur, le double-face mais également le travail du cuir, de la lingerie et du bain. Des domaines dans lesquels Les Ateliers Grandis répondent aux cahiers des charges des plus grandes Maisons.
Chaque opération est contrôlée, le geste est précis et intransmissible autrement que par la formation et l’expérience. Ainsi, chaque atelier possède son formateur référent, chargé de former les recrues par sessions de 400 heures. Et le besoin est constant : “on recrute 100 personnes chaque année, et 80% n’ont jamais touché une machine à coudre”, confie Marc-Antoine Juvin. La reconversion professionnelle, rendue possible par l’ancrage local des ateliers et un rythme de travail compatible avec la vie de famille, devient alors un levier social puissant. Cette orientation se reflète dans les deux principaux axes d’investissement du groupe depuis ses débuts : les infrastructures et la formation.
La formation ne se résume pas à un transfert de compétences : elle nourrit aussi l’évolution des métiers. En repensant entièrement la classification historique des postes, auparavant cloisonnés par activité, le groupe a instauré un métier unique : “artisan en confection”, capable de monter une pièce de A à Z. Un artisanat polycompétent, loin des logiques industrielles séquentielles. Ainsi, chaque arrivant commence comme “artisan en formation” pour progresser jusqu’à un niveau de maîtrise polyvalente, tout en ayant la possibilité de se spécialiser comme “expert” dans une activité précise : coupe, couture machine, couture main ou repassage. “Je veux me battre pour le modèle du qualitatif, je n’ai pas de chaînes de production, j’ai des équipes de fabrication”, résume Marc-Antoine Juvin. À chaque modèle confié, les artisans se réunissent, débattent, testent et ajustent. “Dans l’atelier de Granville il y a un espace école dédié, où en dehors des périodes de formation il devient un lieu de tests et notamment de recherche de solutions pour les clients, une sorte de “plateau technique”, explique le dirigeant.
Un groupe fédéré et agile au service de la création et de ses clients
Ce modèle renforce l’agilité du groupe car dans la mode, chaque saison amène son lot de nouveautés : un tissu jamais étudié, une coupe audacieuse, un défi technique inattendu. “Réagir aux aléas, c’est le métier-même de la production. Pour cela, il nous faut une unité, un esprit de groupe”, explique Marc-Antoine Juvin. Grâce à cette organisation en équipes complémentaires et réactives, au sein des ateliers et en mutualisant les savoir-faire de ses quinze entreprises, Les Ateliers Grandis sont capables de concevoir, prototyper, produire et livrer dans des délais restreints, tout en assurant un niveau d’excellence constant.
C’est dans cette logique de service agile et global que le pôle supply a été structuré : “Maintenant on reçoit les demandes ici (au siège) et on dispatche la production entre les différents ateliers. Nous avons un véritable service qui coordonne la conception, l’achat des matières premières, la fabrication et la logistique ”. En lien direct avec les ateliers, l’objectif affiché est clair : proposer une filière française de fabrication complète, du patronage à la pièce finie, en passant demain par la teinture ou la broderie. Cependant, le dirigeant précise que “les ateliers échangent directement avec les équipes techniques des clients car, ce sont ceux qui font, qui savent !”, s’exclame-t-il. Au niveau du bureau d’études, il y a un fonctionnement « par univers clients », car chaque maison “a sa façon de construire et normaliser”. Des équipes dédiées assurent ainsi à la fois précision technique et confidentialité. Elles peuvent intervenir “à partir d’un croquis ou d’un prototype déjà réalisé”, avec souplesse et savoir-faire.
Animé par des valeurs fortes – respect, engagement, progrès – le groupe a par ailleurs entamé une démarche RSE globale. “La RSE ne doit pas être à côté, elle doit infuser chaque étape du processus”. Cette exigence structurelle et humaine donne aux Ateliers Grandis une place à part dans l’écosystème de la façon française. Elle a permis, par un travail collectif, de faire naître une vision commune, partagée par l’ensemble des ateliers du groupe.“Faire du beau pour faire du bien, travailler dans de bonnes conditions, faire vivre les familles, donner plus à la planète que ce qu’on lui prend, tel est notre horizon”, conclut Marc-Antoine Juvin alors que l’’UFIMH vient de proposer au ministère chargé de l’Industrie de nommer son père, Daniel Juvin, en tant que représentant de l’Habillement au Conseil d’Administration de l’Institut Français du Textile et de l’Habillement (IFTH). Une façon de saluer le parcours sans faute d’une entreprise aussi désirable que vertueuse.
www.maisondusavoirfaire.com
Grand entretien avec… Thibaut Ledunois, directeur de l’entrepreneuriat et de l’innovation à la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin.
« L’IA est un puissant levier de compétitivité pour nos entreprises ».
A l’heure où l’intelligence artificielle envahit l’univers de la mode tout entier, Thibaut Ledunois nous dresse le panorama des transformations les plus impactantes, en rappelant les dangers mais aussi les atouts de l’IA pour la croissance et la compétitivité du secteur…
Comment l’IA impacte-t-elle le secteur de la mode ?
Le développement de l’intelligence artificielle connait une accélération totalement inédite et intègre désormais l’univers de la mode tout au long de la chaine de valeur, même si l’attention se concentre plus particulièrement sur la création. La solution imki intègre les studios de The Kooples, de nouvelles solutions issues de l’IA participent à différentes campagnes digitales mais en réalité, les principaux cas d’usage sont ailleurs. Dans le pilotage de la performance et l’aide à la décision (ndlr. NoStress), dans l’anticipation des achats et une gestion optimisée des stock (ndlr. autone, Centric), dans les recommandations de taille en e-commerce (ndlr. Kleep) ou encore dans l’optimisation des discounts et des pricings. L’IA va également transformer la façon de produire et l’ensemble de l’outil industriel avec une optimisation de la coupe (ndlr. Lectra) et des flux plus tendus. De plus, l’IA constitue également un levier de compétitivité pour les entreprises de mode françaises.
Quels sont, à vos yeux, les principaux dangers de l’Intelligence artificielle ?
Cet outil qui repose sur un usage massif de la donnée, encore faut-il savoir quelles données sont utilisées, par qui et pour quel objectif. Les marques de mode françaises et tout notre tissu industriel doivent prendre conscience que seules les entreprises qui sauront maitriser et protéger leurs données (gouvernance en interne, organisation, taxonomie, cybersécurité) pourront réellement tirer bénéfice de l’IA*. Celle-ci induit de vrais questionnements en matière de confidentialité, de souveraineté et de propriété intellectuelle, tout particulièrement dans un contexte de course internationale à l’innovation fortement lié à la géopolitique. Le principal danger est d’oublier la puissance exponentielle de ces outils et leur résonnance profondément politique.
L’IA offre tout de même de nombreux atouts, comment les entreprises peuvent-elles en tirer parti ?
Il s’agit d’une révolution technologique et industrielle comme nos industries en ont connu de nombreuses. Elle n’est donc pas une option, mais une réalité à prendre impérativement en compte dans le secteur ultra-concurrentiel qui est le nôtre. J’aimerais néanmoins que cette révolution technologique intègre également des réflexions sur les sujets de diversité et d’inclusion, permette une véritable révolution dans la décarbonation de notre secteur et ne serve pas simplement les intérêts de quelques-uns. Par ailleurs, on ne peut nier que l’intelligence artificielle est l’un des leviers les plus efficaces pour mieux gérer la rentabilité et les marges de nos entreprises.
Dans cet esprit, le ministère de la culture associé à la Bpi et à la Banque des territoires vient notamment de lancer un appel à projet…
Dans le cadre du plan France 2030, piloté par le Secrétariat général pour l’investissement en lien avec le Ministère de la Culture, avec la collaboration de Bpifrance et de la Banque des Territoires, un appel à projet a en effet été proposé jusqu’au 28 octobre prochain. Son objectif ? Soutenir les entreprises qui s’engagent dans la voie de la transition numérique grâce au développement de technologies innovantes telles que l’intelligence artificielle, la blockchain ou les solutions d’exploitation de données. Les entreprises ont tout intérêt à se pencher au plus vite sur cette opportunité, qu’il s’agisse des projets attendus, des critères d’éligibilité ou des modalités de soutien*.
Comment voyez-vous la transformation du secteur dans les cinq prochaines années ?
L’intelligence artificielle va sans doute bouleverser très rapidement la façon dont on achète sur internet. Les sites des marques vont être de plus en plus personnalisés – avec des personal shopper en ligne comme c’est le cas chez Zalando depuis fin 2024. Les agents conversationnels vont prendre une part de marché non négligeable des moteurs de recherche classiques dont Google. Comment va évoluer le SEO dans un agent comme Le Chat ou ChatGPT ? Où vont aller les investissements en SEA ? A qui va profiter ces assistants personnels créés et entretenus par des sociétés non européennes ? Le sujet de l’acquisition est également important. Les agences ads historiques font maintenant face à des IA propriétaires des réseaux sociaux qui optimisent l’investissement publicitaire.
Difficile de voir l’avenir mais il s’annonce à coup sûr très différent de notre monde.
*A consulter
Pour l’appel à projet sur la transition numérique, rendez-vous sur cette page
LinkedIn Live avec Extend Business Consulting - Démystifier la data : les 8 bonnes pratiques de gestion des données – janv 2025).
L’IA peut-elle révolutionner l’industrie de la mode ?
Largement présente dans les champs de la création ou de la vente, l’Intelligence artificielle investit peu à peu l’ensemble de la chaine de valeur. Où se révèle-t-elle la plus efficace et comment en tirer parti ? Le point sur les multiples usages de l’IA avec les temps forts de l’enquête réalisée par la Maison du Savoir-Faire et de la Création, affiliée à l’UFIMH.
L'IA redessine les contours de l'industrie de la mode
Si elle commence à se déployer dans la création de vêtements, le textile et la vente, l’intégration de l’IA dans la confection est encore limitée. Mais cela pourrait changer…
L’intelligence artificielle (IA) pourrait révolutionner la mode. “Cette technologie est désormais mature. Nous ne sommes plus dans la seule phase de recherche mais dans celle de l’industrialisation. On peut y aller de manière confiante, il n’y a plus de verrous technologiques” assure Robby Dubus, responsable du développement de Textil’IA, une start-up créée en 2020 par la profession textile pour tirer parti de nouvelles technologies comme l’IA. L’idée ? Développer des applications répondant à des problématiques comme la demande de digitalisation, la lutte contre la contrefaçon, la valorisation de la créativité…
Essor rapide en amont
Comme le soulignait l’article “Texprocess 2024 se place sous le signe de l’IA”, paru dans le magazine M&T2, cette technologie était la vedette de la dernière édition du Salon international leader dans le traitement des matériaux textiles et souples. “L’IA a trouvé sa place et se développe très rapidement en amont : à savoir la création d’un produit avec tous les paramètres que cela comporte, ainsi que sa préparation. Il en est de même en aval jusqu’à sa vente. Mais pour la partie « dure », la fabrication et notamment la couture, c’est plus compliqué”, souligne le magazine. La mode s’intéresse ainsi de plus en plus au potentiel de l’IA. Mais aux étapes successives de la chaîne -création, production, distribution- les pionniers sont plus ou moins nombreux à avoir déjà testé ses possibilités.
Création à la pointe
Pour la création, la mode se montre à la pointe, comme l’explique Frédéric Rose, fondateur en 2020 d’IMKI, start-up spécialisée dans les solutions d’intelligence artificielle générative d’images, dédiées à tous les métiers des ICC (Industries Culturelles et Créatives). “Quand on a travaillé sur ces industries, le secteur ayant réagi le plus rapidement a été la mode. Celle-ci a en effet besoin que l’IA se spécialise dans le stylisme modélisme”.
Pour affiner ses solutions, IMKI s’appuie à la fois sur des experts IA et métiers. “L’IA ne répète pas de choses. Nous prenons des IA qui ont appris à dessiner, nous améliorons leur entraînement sur des métiers et de ce fait, la justesse de leurs réponses. Nous sommes les seuls à avoir une telle approche”, affirme le dirigeant.
Pour la mode, la start-up fait plancher des data-scientists et ingénieurs et ses quatre stylistes modélistes (prêt-à-porter femme, homme, sportwear ou “360 degrés”) pour entraîner l’IA à dessiner des vêtements. “On implique également des spécialistes métiers comme pour une capsule denim présentée à VivaTech 2024, améliorée par un expert externe”.
Gain de temps assuré
IMKI va plus loin dans le “sur-mesure” pour ses clients, comme The Kooples, avec qui elle a développé une capsule pour la collection hiver 2024-2025. “On apprend aux IA à comprendre un corpus artistique, les codes à prendre en compte pour aligner les dessins sur une marque. Cela peut être le logo, un motif, un fermoir typique pour un sac à main. On améliore ainsi la connaissance de l’IA en intégrant l'ADN de la marque”. De quoi aussi éviter un risque auquel les clients d’IMKI se montrent très attentifs : “faire en sorte que les données qu’ils utilisent pour entraîner leur IA ne relèvent pas de tiers, mais de leur propriété”. Pour leur donner la main sur l’IA, IMKI forme ainsi ses clients au “prompting”, soit la manière de lui donner des instructions.
La question qui se pose : est-ce que l’IA peut remplacer l’humain pour la création ? Pour certaines tâches mais pas toutes, indique Frédéric Rose. “L’IA est imbattable en termes de vitesse d'exécution d’un dessin précis, par exemple, mais bien que hyper puissant, cet outil n’est cependant pas doué de volonté ni d’un “esprit de synthèse” de l’air du temps ou des tendances. Il a besoin d’un input créatif. Si le designer ne sait pas dans quelle sphère artistique l’emmener, l’IA ne sortira rien de bon”.
“L'IA accélère le processus de création, améliore l’aide à la décision et permet de rapprocher le produit de la tendance finale et de la demande du client. Aujourd’hui, sans elle, on met 8 mois pour créer un produit après avoir détecté une tendance. Avec l’IA, on divise ce temps par trois”, conclut Frédéric Rose.
Au service de la matière
A l’amont de la chaîne mode, l’industrie textile s’est aussi emparée de l’IA. “Dès nos débuts, nous avons rencontré des experts en IA et listé les applications possibles pour créer des solutions innovantes à valeur ajoutée mais accessibles pour nos PME textiles. La profession investit dans ces solutions via Textil’IA avant de les déployer. Contrairement aux idées reçues, le coût de l’IA n’est pas exorbitant et l’utilisation assez vite rentable” explique Robby Dubus de Textil’IA.
Textil’IA a déjà développé deux solutions intégrant l’IA. Son catalogue intelligent de produits en ligne permet depuis 2023 aux textiliens d’archiver digitalement leurs nombreuses créations : “on numérise leurs tissus pour les transférer vers la plateforme dotée d’outils de recherche fonctionnant à base d’IA”, explique Robby Dubus. L’utilisateur peut aisément faire des recherches parmi ses archives textiles parfois très nombreuses (plusieurs dizaines de milliers de motifs), via des mots clés ou par similarité avec une autre image, sans avoir besoin de catégoriser manuellement chacun des motifs lors de leur importation. “Ce catalogue intelligent permet de valoriser ses créations. Il facilite aussi les échanges entre fabricants et marques, en fournissant aux prospects un accès digital aux collections. L’IA générative va également permettre d’analyser leurs recherches et de leur faire soit des nouvelles propositions graphiques, soit des modifications des motifs textiles pour s’adapter à leurs besoins”.
La deuxième solution à base d’IA signée Textil’IA facilitant une veille anti-contrefaçon se nomme LOCKEO Détection. Elle permet aux textiliens de faire de la reconnaissance d’images en comparant leurs dessins à ceux présents sur des articles textiles en ligne. “Pour une PME, il ne serait pas possible d’embaucher quelqu’un pour réaliser une telle veille sept jours sur sept et ce, sans même parvenir à ces résultats”.
Transition digitale
Le troisième outil développé par Textil’IA -ODITH- déjà testé par une quarantaine d’entreprises de la filière textile-habillement (dont des confectionneurs) et commercialisé dès ce mois de septembre, ne fonctionne pas encore avec l’IA. Mais cela n’est pas exclu qu’il l’utilise un jour.
Son but est de faciliter la traçabilité en sécurisant la récupération, le stockage et la transmission des informations de fabrication des produits textiles. “Aujourd’hui, on est dans le déclaratif des fournisseurs. Avec l’IA, grâce au croisement des données, on pourrait vérifier la provenance d’un tissu, d’une origine de fabrication, cela permettrait d’améliorer la solution” indique Robby Dubus. De façon générale, il souligne que “l’IA débouche sur des solutions facilitant la transition digitale des entreprises. Sans IA, c’était ainsi impossible de digitaliser tout le patrimoine créatif des entreprises textiles !”.
S’il n’est pas spécialisé dans la confection, Robby Dubus imagine “sûrement plein d’applications IA, avec des tâches (comme les patronages)” susceptibles “d’être largement optimisées grâce à l’IA”.
Automatisation et précision
L'expérience de Haase Innovation montre que l'IA peut en effet avoir un impact significatif dans la confection. Marine Anton, dirigeante de l'atelier, a récemment investi dans une machine de coupe automatique gérant les motifs placés avec caméra embarquée recourant à l’IA. “C’est très surprenant, la caméra va scanner le motif, on va placer le patronage sur l’ordinateur et la machine va faire en sorte que les motifs soient raccordés entre le dos et le devant”, explique-t-elle.
Le gain de temps impressionne : alors que les salariées mettaient 17 minutes pour couper, à la main, un t-shirt avec motif placé, cela ne demande que 2 minutes 50 à la machine.
Marine Anton précise que son intention initiale n’était pas “d’acheter la machine pour aller plus vite” mais de pallier une difficulté de recrutement. “Les personnes à la coupe partant bientôt à la retraite, nous avons essayé de les remplacer par des jeunes”. Mais ce “travail physique, debout, long et répétitif” attirait peu.
Cela a servi de déclic pour investir dans la machine de coupe automatique et faire de premiers pas dans l’IA. Un choix que la dirigeante ne regrette manifestement pas, même si cela représente “sans doute le plus gros investissement jamais réalisé” dans l’atelier créé en 2014.
L’IA s’intègre progressivement dans l’ensemble du processus produit. Bien qu'elle soit déjà en cours d'implémentation dans les phases de création et de sourcing matières, son intégration dans la confection, où l'intelligence de la main est cruciale, demeure complexe. Cependant, elle permet d'améliorer la compétitivité dans les étapes de fabrication qui ne requièrent pas de valeur ajoutée humaine.
Pour en savoir plus sur les solutions citées:
IMKI
Textil'IA
Haase Innovation
Retrouvez les articles du magazine en ligne de la Maison du Savoir-Faire et de la Création sur www.maisondusavoirfaire.com
3 questions à… Simon Peyronnaud, président et cofondateur de l’entreprise Losanje
« Pour tirer parti de l’IA, il faut une stratégie globale »
Dédiée à la production mode issue de l’upcycling, Losanje a intégré l’IA dès sa création en 2020. Cinq ans plus tard, cette société constitue un modèle unique et ultra-performant, offrant à des entreprises des solutions de fabrication de vêtements et d’accessoires dans une démarche écologique et fiable sur le plan économique. Une réussite consacrée par le prix de l’innovation de l’Andam 2025.
1/ Pouvez-vous tout d’abord nous présenter votre entreprise ?
Losanje est une solution de production. Nous travaillons avec des entreprises pour les aider à fabriquer des produits issus de l’upcycling grâce à une approche industrielle utilisant les premières technologies au monde de découpe automatisée de vêtements. Pour cela, nous avons deux approches. Soit nous participons à la revalorisation de l'existant -des invendus pour une marque de mode, des vêtements de travail, des bâches publicitaires… soit nous proposons de réaliser pour elles un sourcing de produits finis, par exemple, des jeans issus de centres de tri, des sweats ou des T-shirts, qui serviront ensuite de matière première pour leur futurs produits upcyclés.
Nous avons créé Losanje en 2020 en commençant par lancer notre propre marque, avec de petites collections de hoodies, jeans, pantalons de travail, T-shirts…. Un vestiaire assez sobre car nous voulions montrer que, loin des traditionnels patchworks ou des podiums, la démocratisation de l'upcycling passait par l'invisibilisation de la méthode de fabrication. Dès 2022, nous nous sommes lancés, après une première levée de fonds, dans la R&D autour du développement de technologies spécifiques à la découpe en upcycling. Depuis 2023, nous nous consacrons exclusivement à cette activité B&B.
2/ Comment utilisez-vous l’IA dans votre entreprise ?
Nous avons tout d’abord introduit l'intelligence artificielle dans une volonté de performance économique. Nous demandons notamment à l’IA de perfectionner nos schémas de production au niveau de la coupe pour faire de l'optimisation de matières et réduire les coûts. Grâce à l’'intelligence artificielle générative, nous offrons aussi à nos clients des prévisualisations des produits qu'ils souhaitent développer, leur permettant de se projeter plus facilement. Tous ces éléments viennent au service de la performance environnementale. Plus nous arrivons à convaincre de la pertinence de notre solution, plus on convainc nos clients de favoriser l’upcycling, et donc l’économie circulaire, à des solutions de production traditionnelles. Et rappelons que nos vêtements et accessoires produisent en moyenne 95% d'émission de CO₂ en moins que des produits standards. Par ailleurs, les utilisations de l’IA sont très nombreuses et participent à l'optimisation des enjeux de production, de coupe, d'utilisation de matières….
3/Quels conseils donneriez-vous pour une utilisation efficace et raisonnée de l'IA ?
L’IA est centrale dans la construction et le développement de notre entreprise et nous l’avons d’emblée pensée dans une stratégie globale -sociale, écologique, financière. L'implémentation s'est d'abord faite autour de la production avec la volonté de réduire les coûts pour rivaliser avec l'industrie traditionnelle linéaire. Nous avons ensuite implémenté l’IA dans les fonctions de sourcing, de stylisme…. Et petit à petit au niveau de nos fonctions support -marketing, communication et certaines tâches commerciales très répétitives et souvent peu valorisantes pour nos salariés. Cette stratégie globale est, selon moi, la best practice numéro un. Il faut d’emblée penser comment, à quelle étape et pourquoi on implémente de l’IA. Certaines entreprises vont d’ailleurs jusqu’à recruter un salarié dont la seule fonction est de concevoir une stratégie d’implémentation pour traiter de façon globale tous les sujets. Cela montre à quel point la méthode et la « big picture » sont indispensables à la réussite d’un projet d’implémentation de l’IA dans les pratiques d’une entreprise.
Pour en savoir plus: www.losanje.com