Actualités
Grand entretien : Lionel Guérin et Pierre-François Le Louët, co-presidents de l’UFIMH.
« Le vote de cette loi est le fruit de cinq années d’engagement de toutes nos fédérations. »
Un an après l’Assemblée nationale, le sénat a voté le 10 juin une proposition de loi pour freiner l’essor de la mode « ultra express », incarnée notamment par la plateforme chinoise SHEIN.
Avec Lionel Guérin et Pierre-François Le Louët, le point sur les enjeux de la législation, ce qu’il reste encore à obtenir et le rôle clé de l’UFIMH et de ses fédérations dans cette lutte. `
Quelles avancées offre cette nouvelle législation ?
LG. Nous nous félicitons tout d’abord du vote de cette loi que nous avons attendue très longtemps, plus d’un an après son adoption par l'Assemblée nationale. Par ailleurs, nous avons noté avec satisfaction l’intérêt des sénateurs pour le sujet, ce qui montre une réelle prise de conscience de l’impact de la mode ultra express sur la désertification des centres-villes. Pour le reste, la loi permet de mettre en place une panoplie d’outils efficaces pour lutter contre l’essor de ces plateformes de mode « ultra-éphémère ». Celles-ci devront sensibiliser à l’impact environnemental de leurs vêtements et s’acquitter « d’éco-contributions », avec un principe de bonus-malus et une pénalité qui pourra atteindre 10 euros par article en 2030. Elles seront interdites de publicité avec un volet de sanctions pour les influenceurs qui voudraient en faire la promotion; elles devront aussi payer une taxe instaurée sur les petits colis livrés par des entreprises hors de l’union européenne, comprise entre 2 et 4 euros. Cette taxation permettra de dégager les moyens nécessaires pour faire respecter la loi, sachant que les plateformes, très habiles et très réactives, chercheront sans aucun doute à la contourner. La potentielle collaboration entre la DGCCRF et la CNIL pour lutter contre les potentielles infractions est un atout. Le fait de disposer de deux organismes avec des capacités de sanctions autonomes qui peuvent être mises en place sans passer par des tribunaux, permettra une application plus efficace de la législation.
La présentation de cette loi devant le Sénat était une étape clé. Quelles sont les suivantes ?
PFLL. Cette loi doit désormais être notifiée à la Commission européenne pour attester de sa conformité aux droits européens. Elle devra ensuite passer devant une commission mixte paritaire, composée de sept sénateurs et de sept députés, qui devront se mettre définitivement d'accord sur le texte. Ce sont donc autant de risques de le voir modifié. L'Europe peut proposer des recommandations d'optimisation ; le Conseil constitutionnel français peut décider que certaines mesures, non constitutionnelles, doivent être remaniées. Et enfin, la volonté des députés n'étant pas exactement la même que celle des sénateurs, la commission mixte paritaire risque aussi de faire évoluer le texte.
Revenons sur le passage de cette loi devant la Commission européenne. N’est-ce pas une occasion d'accélérer une prise de conscience globale ?
LG. Ce n'est pas le but premier mais il s’agit en effet d’un vote très important. Il montre notamment le rôle pionnier de la France qui deviendra ainsi le premier pays à légiférer contre la mode ultra express. De plus, nous pouvons espérer que cette législation donne une nouvelle impulsion au développement d'une politique européenne, et pourquoi pas mondiale, de lutte contre ces acteurs.
Cette loi constitue une avancée majeure mais elle ne suffit pas. Quelles sont les prochaines étapes ?
LG. Nous allons agir pour la fin de l'exonération des droits de douane pour les colis expédiés hors Union européenne et d’une valeur inférieure à 150 €. Nous serons pour cela soutenus par la Confédération européenne du Textile et de l’Habillement, Euratex, dont nous sommes membres et qui défend les intérêts du textile et de l'habillement au niveau européen. Euratex siège à Bruxelles et entend faire pression sur la Commission afin que celle-ci parvienne à un accord entre les différents Etats. Dans le même temps, il sera nécessaire de mettre en place une surveillance efficace de l’évolution des pratiques de ces opérateurs, qui ne manqueront pas d’organiser la riposte.
Comment l’UFIMH participe à cette lutte ?
PFLL. Nous oeuvrons depuis plus de cinq ans sur le sujet. Nous avons joué un rôle de lanceur d'alerte en portant le débat sur la scène publique grâce notamment à Yann Rivoallan -vice-président de l’UFIMH et président de la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin- qui a multiplié les interventions à la télévision, dans la presse et sur les réseaux sociaux. Nous avons également fait entendre notre voix auprès du gouvernement, des parlementaires, députés et sénateurs avec lesquels nous sommes entrés en contact. Nous devons cette première victoire à la mobilisation de tous, y compris des organisations amies de l’UFIMH : la Fédération Nationale de l'Habillement, France Industries Créatives, le Comité Stratégique de Filière Mode et Luxe, le MEDEF…. Elles ont été extrêmement actives pour porter une position commune.
L'UFIMH a été très active pour la promulgation de cette loi mais elle va plus loin, militant pour un autre modèle qui valorise la qualité des produits et des savoir-faire…
PFLL. Face à l’essor de l’ultra-fast fashion, nous travaillons concrètement à valoriser une mode durable et de qualité, Made in France ou Made in Europe. Nous allons poursuivre nos actions de sensibilisation auprès du grand public afin de rappeler que la consommation est aujourd'hui un acte politique. Nous avons tous le pouvoir d’agir de façon vertueuse, en optant pour des produits locaux et de qualité, qui préservent nos emplois et sont fabriqués dans le respect des personnes et de l’environnement. Les consommateurs ont bien sûr la liberté d'acheter ce qu’ils souhaitent mais ils doivent disposer de toutes les informations qui leur permettent de faire un choix éclairé, c’est la raison pour laquelle nous soutenons l’affichage environnemental des produits de mode et incitons toutes les entreprises qui le peuvent à obtenir le label Entreprise du Patrimoine Vivant. Nos entreprises doivent avoir la possibilité de développer un modèle économique qui assure à la fois leur pérennité et leur responsabilité sociale et environnementale.
Label Entreprise du Patrimoine Vivant
« 20 ans au service de l’excellence française »
Fabricants de boutons, gantiers…Ces métiers semblaient appartenir au passé. Préservés grâce au label EPV, la plupart ont retrouvé une nouvelle jeunesse.
Ils sont désormais pleinement intégrés à la création contemporaine et travaillent avec toutes sortes de maisons, y compris dans l’univers du luxe.
Retour sur les enjeux d’un label aussi prestigieux qu’efficace.
Trois lettres sur fond rouge… Le label est tout simple, il est pourtant l’objet d’une immense fierté pour toutes les entreprises qui l’affichent dans leur atelier -preuve irréfutable d’un savoir-faire d’excellence. Né en 2005 à l’initiative du ministère de l’économie et des finances, le label Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV) a été imaginé pour distinguer les entreprises françaises artisanales et industrielles aux savoir-faire rares et d’exception. « L’objectif était alors très ambitieux, explique Tristan de Witte, président du label EPV. Il s’agissait d’assurer la pérennité de ces entreprises mais aussi leur donner les moyens de leur renouveau ; les aider à préserver leurs savoir- faire historiques tout en misant sur l’innovation.
L’opportunité d’une reconnaissance nationale et internationale.
Réunissant le meilleur du Made in France, ces entreprises sont désormais 1300 environ et se répartissent entre les univers des arts de la table, de la gastronomie, de l’industrie, de la décoration, de l’architecture, de la beauté, de la mode et des maisons de luxe -ce dernier secteur représentant près de 20% de l’activité des EPV. Toutes sont détentrices d’un patrimoine séculaire, ancré dans un territoire et souvent transmis de génération en génération, au sein d’entreprises restées familiales. Techniques rares et secrètes, production d’exception… Les critères d’obtention de ce label d’état (décerné par les préfectures en région) sont très exigeants, avec des experts missionnés pour visiter les sites de production et évaluer la politique de développement de l’entreprise. « Sur les quelque 300 dossiers de candidatures reçus chaque année, moins d’une centaine décroche (ou renouvelle) cette récompense attribuée pour cinq années, explique Tristan de Witte. Cette distinction prestigieuse offre des atouts très concrets : une reconnaissance nationale et internationale ainsi qu’un crédit d’impôt allant jusqu’à 30 000 euros par an ».
Une manière de faire converger création et fabrication de haute façon ».
Ce coup de pouce suffit souvent à donner un nouvel élan à ces entreprises qui, peu à peu, reviennent dans la lumière, plébiscitées par un public de plus en plus attiré par des produits de qualité et made in France, ce qui soutient le dynamisme de nos territoires. Succès incontestable, le label EPV fête aujourd’hui ses 20 ans avec de multiples projets. Désormais structuré en une fédération nationale (Réseau excellence EPV) qui réunit 12 associations régionales, le label EPV travaille à tisser des liens avec les différentes organisations pour développer des projets communs. » Notre objectif pour demain ? Agir collectivement pour être plus efficace, faire rayonner le label en France comme à l’étranger, précise Tristan de Witte. Nous agissons, par exemple, pour faire de nos membres EPV des entreprises de référence pour le réaménagement des ambassades françaises à l’étranger. Nous avons également entamé une importante réflexion avec le Mobilier National/ Les Gobelins pour valoriser davantage nos savoir-faire d’exception, notamment en participant au Salone del Mobile de Milan, rendez-vous international incontournable du secteur de la décoration et du mobilier. Autant d’actions destinées à faire rayonner le label EPV en faisant converger création et fabrication de haute façon ».
« 20 jours pour célébrer 20 ans !»,
Le label EPV fête son anniversaire jusqu’au 3 juillet avec des rencontres, des événements…
*Des journées portes ouvertes (grand public, scolaires, professionnels…) sont organisées par certaines entreprises qui proposent à l’occasion une visite de leurs ateliers mais aussi des démonstrations, des ateliers participatifs…
*Des rencontres économiques à destination des entreprises EPV seront organisées le 3 juillet 2025 au ministère de l’économie et des finances.
*Une soirée de clôture des "20 ans du label EPV", à destination des entreprises labellisées et des membres du GPEX, en présence de la Ministre, se déroulera le 3 juillet à Bercy, après les rencontres économiques.
Pour en savoir plus: https://www.entreprises.gouv.fr/20-ans-du-label-entreprise-du-patrimoine-vivant
3 questions à … Dominique GRUSON, Gérant de la société nouvelle Janvier-Gruson-Prat
« Notre société allie deux siècles de patrimoine et d’innovation »
Née en 1840, l’entreprise Janvier-Gruson-Prat, incarne un savoir-faire exceptionnel dans la fabrication de boutons et autres accessoires en métal.
Labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant, elle a su s’adapter aux attentes du marché tout en préservant son héritage artisanal, comme l’explique son gérant depuis 2012, Dominique Gruson.
Pouvez-vous tout d’abord nous présenter votre entreprise ?
Cette maison, née il y a près de deux siècles, s’est toujours consacrée à la même activité – la fabrication d’estampes, de boutons et accessoires en métal. Elle a connu son âge d’or dans les années 1980, employant plus de 100 artisans dans son usine après le rachat d’une trentaine de sociétés. Notre maison a alors pris le nom qu’elle porte aujourd’hui encore -Janvier-Gruson-Prat- et s’est consacrée essentiellement à la fabrication de boutons portés sur les uniformes de l’armée française, de la police nationale, de la gendarmerie et des grandes écoles militaires. La maison fabriquait aussi des estampes, ces pièces destinées à produire une empreinte utilisée ensuite pour le dessin de nos pièces mais aussi en bijouterie ou pour la décoration. Les archives de la maison en réunissent près de 120 000, un patrimoine unique.
Quel est aujourd’hui votre marché et comment vous adaptez-vous pour répondre aux attentes de vos clients ?
La maison compte une quinzaine de salariés dans notre usine de Savigny-le-Temple qui conserve précieusement notre savoir-faire, ce qui nous a permis de décrocher le label Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV). Les étapes de fabrication, qui réclament une grande minutie, sont toujours les mêmes : frapper à froid un flan en cuivre sur une matrice en acier trempé, détourer la pièce de cuivre aux bonnes dimensions, frapper à froid pour faire remonter la gravure et, enfin, ajourer la pièce pour découvrir le dessin initial sans casser le métal. Nous travaillons aujourd’hui pour des maisons de luxe et de décoration. Nous gravons des boutons pour les maisons de mode, notamment pour les défilés de haute-couture. Les opéras de Paris, Berlin ou Helsinki font appel à nous pour la création de leurs accessoires ou les décorations de leurs costumes. Si nos savoir-faire sont restés les mêmes, les dessins des pièces sont désormais conçus par ordinateur et nous avons intégré des normes strictes en matière de RSE, en produisant notamment des pièces sans plomb ni nickel et en recyclant les chutes de cuivre et des produits issus de la galvanoplastie.
Vous êtes aujourd’hui le représentant de la septième génération aux commandes de cette entreprise. Comment pensez-vous la transmission ?
Nous sommes très soucieux de la transmission de nos savoir-faire et proposons des formations au sein de notre atelier, afin de préserver une fabrication de haut-niveau. Par ailleurs, mes deux enfants ont rejoint la société et pensent l’avenir de la maison, qui passe par la préservation de notre patrimoine mais aussi l’adaptation aux nouvelles normes et aux nouveaux désirs de nos clients, ce qui passe par une plus grande intégration de la numérisation.
En savoir plus : www.artmetal-framex.com

L’entretien du mois : Yann Rivoallan, président de la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin.
« Face à l’ultra fast fashion, la France et l’Europe doivent organiser la riposte »
A quelques semaines du vote au Sénat de la loi visant à lutter contre l’ultra fast fashion, Yann Rivoallan nous rappelle l’urgence à agir face au développement de ces plateformes de vente qui bouleversent nos marchés et font encourir un risque majeur aux entreprises françaises du secteur.
L’Ultra fast fashion est une tendance de plus en plus massive. Pouvez-vous nous décrypter le phénomène ?
Il est essentiellement porté par les marques Shein, née en 2014 et Temu, apparue sur le marché en 2022. Ces deux plateformes fonctionnent de façon très semblable. Elles proposent à (très) bas prix des produits de qualité médiocre -le plus souvent des copies ou des contrefaçons- le tout avec un système de vente extrèmement agressif… Des promotions en compte à rebours pour créer un sentiment d’urgence, un paiement en un clic pour favoriser l’achat d’impulsion et surtout, une production exponentielle.
A-t-on des chiffres pour témoigner de ces niveaux de production ?
Absolument. Shein propose quotidiennement 10 000 nouvelles références, produites chacune à plus de 100 exemplaires, ce qui fait au minimum un million de pièces fabriquées par jour. Son marketing agressif incite à une surconsommation qui se révèle particulièrement dangereuse pour ceux qui tombent dans leurs pièges à promotion. Par ailleurs, ces plateformes constituent une catastrophe en termes écologique et social. Shein émettrait 16,7 millions de tonnes métriques de dioxyde de carbone par an. Tout comme Temu, la marque ne respecterait pas les droits sociaux, obligerait ses salariés à travailler 75h par semaine pour un salaire d’un euro par vêtement fabriqué. Et pourtant… Le résultat est un développement exponentiel de ces plateformes : les ventes de Shein ont atteint 38 milliards de dollars en 2024, celles de Temu 54 milliards de dollars. Et les Français ont dépensé 4,8 milliards d’euros chez Shein et Temu selon l’agence Circana en 2024.
Les conséquences sont particulièrement délétères pour le secteur de l’habillement en France et en Europe. Quelles sont-elles exactement ?
L’Ultra fast fashion fragilise incontestablement le secteur en créant une concurrence totalement déloyale. Dans ce contexte, de nombreuses entreprises sont aujourd’hui en difficulté en France, dans les boutiques comme dans le domaine de l’e-commerce. Il suffit d’observer l’actualité récente pour prendre la mesure de la situation. La marque C&A a annoncé la fermeture prochaine de ses magasins en province et l’enseigne Kaporal est en liquidation depuis le mois dernier, ce qui entraîne la destruction de quelque 300 emplois. De plus, la situation risque d’empirer rapidement avec l’augmentation des droits de douane américains qui va inciter les marques chinoises à se recentrer sur l’Europe, considérée comme un marché refuge. Ces plateformes sont dangereuses car elles saturent nos marchés. De plus, leur politique de contrefaçon met à mal l’image de la créativité et de l’identité des marques. Face à cela, plusieurs maisons réagissent et intentent des procès en contrefaçon mais il est très difficile de lutter face à l’avalanche de lancements de produits, sans cesse renouvelés.
Une loi anti fast fashion doit être prochainement votée au Sénat. Quels sont ses enjeux ?
Une première version, présentée le 14 mars dernier à l’Assemblée nationale, proposait notamment de stopper la publicité de ces plateformes, de créer des malus pour les produits vendus par ces plateformes (5 euros) et de reverser ces sommes sous forme de bonus aux marques françaises, sur la base de l’affichage environnemental. La proposition qui sera présentée au Sénat est moins ambitieuse mais potentiellement plus en phase avec le droit européen. Les places de marché (du type amazon) ne seront pas concernées par la loi, le sujet des micro-fibres ne sera pas pris en compte et il est possible que l’interdiction de la publicité soit également retoquée, toujours pour un problème de conformité avec le droit européen. Cette loi aura tout de même le mérite d’exister, et de créer une harmonisation au niveau européen. Dans le contexte, il faut qu’elle soit votée au plus vite et que nous mettions également en place des barrières douanières qui n’existent pas encore. Aujourd’hui les produits importés de moins de 150 euros ne s’acquittent pas de la TVA.
Et peut-on espérer de sa mise en œuvre ?
La question est importante car une loi ne vaut que si ses applications sont mises en place rapidement et de façon efficace. Tout est une question de moyens humains et financiers. Pour cela, il faudra sans aucun doute réinvestir dans des services de douanes plus puissants et plus technologiques. Nous devons nous réinventer de manière aussi courageuse que réactive pour répondre à cette question. Comment nous protéger, pour mieux créer et mieux commercer…
www.pretaporter.com
Déchets textiles industriels : une autre manne pour l’économie circulaire !
Chaque année, des milliers de tonnes de déchets textiles industriels sont produits en France. Mode Grand Ouest se penche sur les possibilités de recyclage de ces matières pouvant intéresser d’autres marchés que la mode.
Si le sujet du recyclage des vêtements invendus ou usagés fait l’objet d’une forte médiatisation, celui des déchets textiles industriels est en revanche peu connu.
Et pourtant, il mérite de l’être. D’abord pour des raisons réglementaires. Depuis le 1er janvier 2025, l’enfouissement de bennes contenant plus de 30 % de déchets textiles n’est en effet plus autorisé. Une règle qui ne vaut pas pour le cuir.
Ensuite, parce que ces déchets ne manquent pas d’atouts dans une optique d’économie circulaire. “On maîtrise parfaitement leur traçabilité. Il s’agit de matières nobles, neuves et dont les propriétés mécaniques sont supérieures à celles de vêtements usagés, liste Clément Gourlaouen, chargé de mission recyclage à Mode Grand Ouest (MGO). Et ce qui coûte très cher lors du recyclage, ce sont les deux premières étapes : le tri et le délissage, soit l’enlèvement des points durs (boutons, fermetures…). Or, elles ne sont pas nécessaires pour les déchets industriels textiles. On démarre ainsi avec un grand avantage compétitif par rapport à l’utilisation de vêtements usagés pour le recyclage”.
2,4% des déchets textiles
Selon une étude de l’ADEME, réalisée en septembre 2023, les chutes de production représentent en France 2,4% des déchets textiles, soit environ 40 000 tonnes annuelles.
Une donnée d’ensemble qu’il s’agissait de ventiler localement, a jugé Mode Grand Ouest, réseau professionnel réunissant 120 adhérents, essentiellement des confectionneurs de l’habillement et de la maroquinerie mais aussi de quelques textiliens et fournisseurs de la filière. Les Pays de la Loire est la région française où on compte le plus de confectionneurs. “Or, l’habillement, avec l’étape de la coupe, est l’industrie qui génère le plus de chutes de déchets textiles. D’où la pertinence de faire des actions dans l’Ouest”, indique Clément Gourlaouen.
En commençant par la réalisation d’une étude. “Nous sommes partis du principe que nous aurons du mal à trouver de bonnes voies de valorisation, si on ne connaît pas bien nos gisements, souligne le chargé de mission. C’est un préalable d’avoir une vue globale des enjeux afin de pouvoir trouver des voies de valorisation pertinentes. Or, en France, il existe quelques données nationales mais aucune au niveau local”.
D’où le chantier collaboratif lancé fin 2022 dans le Grand Ouest, avec en premier lieu, l’élaboration d’une cartographie quantifiant les gisements des déchets textiles, en collaboration avec les CCI des Pays de la Loire et de Bretagne.
57 entreprises sondées sur leurs déchets textiles
57 entreprises, employant 4775 salariés, en majorité adhérentes de MGO, sont ainsi interrogées, à la fois sur la quantité de leurs déchets et leurs destinations. Des confectionneurs ou assimilés, spécialistes des vêtements de luxe ou professionnels, quelques marques de prêt-à-porter constituent la majorité, les autres étant des entreprises de cuir (maroquinerie, sellerie, ameublement, etc). L’échantillon est “suffisamment important pour être représentatif de la région et avoir une première étude de reconnaissance du gisement, même s’il pourra être affiné par la suite”, souligne Clément Gourlaouen.
Les résultats sont instructifs. Quelques milliers de tonnes de déchets, à la fois textiles et cuir, sont détectés. Ils sont principalement orientés vers l’enfouissement (42% des répondants) ou l’incinération/CSR (Combustible Solide de Récupération) (31,6%). L’enquête a en effet été réalisée alors que l’enfouissement de bennes contenant plus de 30% de déchets textiles était encore autorisé. Enfin, un nombre non négligeable (21%) des entreprises ne savent pas précisément ce que deviennent leurs déchets…
Autre élément mis en lumière par le sondage : la grande hétérogénéité des gisements. Les déchets de trois quarts des répondants comportent plusieurs matières en mélange, très variables, selon les collections, les années, les tendances…
Trouver des solutions de recyclage
Cela justifie largement l’objectif que se fixe Mode Grand Ouest : s’occuper de ces gisements qui, aujourd’hui “n’ont pas de solution de recyclage, ces déchets industriels étant trop petits, trop mélangés ou trop fluctuants pour être réemployés ou intéresser un recycleur”. La structure se lance alors dans un deuxième chantier, mené par Mod’Innov, son Cluster Innovation. Celui-ci démarre avec une dizaine d’entreprises (bureaux d’études, confectionneurs…) représentatives de la diversité des gisements.
Une cinquantaine de leurs matières, mélangées et représentatives de la diversité du gisement, sont retenues pour le projet. MGO les envoie au centre européen des non tissés (Cent), une antenne de l’IFTH. Mission : faire des essais de recyclage de ces déchets en non tissés…“Il s’agissait de lever des freins techniques, car ce n’était pas trop l’usage de faire des non tissés avec des mélanges, précise Clément Gourlaouen. Il y avait aussi des matières, trop épaisses ou trop fines, comme les dentelles, les broderies ou les matières contrecollées, réputées ne pas pouvoir être recyclées. Or, ces essais ont permis de voir que c’était possible de le faire”.
Ces non tissés obtenus sont ensuite testés sur plusieurs marchés, par exemple ceux de l’isolation thermique ou acoustique, du prêt-à-porter (garnissage de doudoune, par exemple) ou des accessoires (tote bags, sacoches d’ordinateur…).
Une recherche réglementaire indispensable
Mais cette première phase débouche sur la nécessité d’une deuxième phase, celle d’une recherche réglementaire. “Il s’agissait de repérer quels étaient les débouchés possibles pour des matières recyclées sous forme de mélanges dans des non tissés et dont on ne connaît pas, du coup, la composition. Dans certains secteurs comme l’automobile ou l’habillement, il est en effet difficile d’utiliser de telles matières. Mais ce n’est pas le cas pour des isolants acoustiques ou des accessoires de voyage, par exemple”.
Une fois ce travail fait, MGO est passée à la phase trois. Soit la réalisation d’essais de performance (pour le caractère isolant par exemple), des matériaux non tissés développés. “Ces tests ayant démarré fin 2023, il est encore trop tôt pour des conclusions”, confie Clément Gourlaouen.
Parallèlement, MGO continue de chercher des débouchés et partenaires. “Nous n’avons pas vocation à créer une usine. L’idéal serait que ces travaux puissent servir à un industriel déjà existant ou à des porteurs de projets pour valoriser ces matériaux recyclés”, souligne le responsable.
Des freins au recyclage
Des partenaires qui seraient les bienvenus alors que Clément Gourlaouen n’élude pas les freins qui compliquent le travail ambitieux mené par MGO. A commencer par le fait que l’organisation professionnelle ne bénéficie pas du soutien de l’éco-organisme Refashion, qui supervise la fin de vie des produits de la filière habillement, linge de maison et chaussures. “Celui-ci ne s’occupe que des matières mises sur le marché. Alors que les chutes de production industrielles ont pourtant les mêmes débouchés et les mêmes voies de revalorisation”, regrette le chargé de mission.
Et d’autres cailloux se logent aussi dans les chaussures des initiateurs du projet…
De nature juridique notamment. Dans le grand Ouest, où l’activité de confection est essentiellement destinée au luxe, les déchets textiles appartiennent dans trois quarts des cas aux donneurs d’ordre. “Mais si certaines Maisons de luxe ont leur propre circuit de collecte pour les déchets, ce n’est pas toujours le cas. C’est alors au sous-traitant de les gérer, avec les contraintes de stockage que cela pose”. Autre difficulté, particulièrement répandue dans le luxe : le fait que les matières soient très reconnaissables, notamment siglées par des logos.
Certes, le sujet mobilise les entreprises, comme le montre le sondage initial sur leurs déchets industriels, réalisé par MGO auprès de 57 d’entre elles. 94,8% souhaitaient connaître les résultats de l’étude dont 40,4% se disaient même volontaires pour rejoindre un groupe de travail sur le sujet !
Des acteurs du recyclage en nombre insuffisant
Si l’intérêt est manifeste, côté producteurs de déchets, “les acteurs du recyclage en France manquent à l’appel, et ce, d’autant plus dans le grand Ouest”. Facteur aggravant : ceux qui existent ne sont guère adaptés aux spécificités des déchets textiles industriels, avec des matières très mélangées…
D’où l’importance pour les industriels de l’habillement -qui ne pourront pas utiliser toutes leurs chutes recyclées et faire de la boucle fermée - Clément Gourlaouen en est persuadé, de “créer des liens avec d’autres secteurs, comme l’automobile ou le bâtiment qui seront utilisateurs de ces déchets recyclés pour pouvoir faire des projets d’envergure”.
Retrouvez ici les articles publiés par La Maison du Savoir-faire et de la Création.
maisondusavoirfaire.com
3 Questions à… Charlotte Dereux
A la tête de la marque Patine qu’elle a créée voilà huit ans, Charlotte Dereux propose un vestiaire cool et durable qui mêle nostalgie des années 80 et solide engagement écologique. Le détail de son parcours, et de ses projets alors que la marque est en levée de fonds sur la plateforme éthique LITA.co
En 2017, vous avez concrétisé votre rêve, créer votre propre marque de mode. Quelle philosophie portez-vous avec ce label ?
La mode est une passion depuis toujours et j’ai osé franchir le pas après 10 ans dans une entreprise. J’ai alors commencé à penser ma marque mais j’ai vite découvert que la mode, telle qu’elle était produite le plus souvent, n’était pas compatible avec mes valeurs. Patine est née de ce constat et de la volonté de concevoir, fabriquer et distribuer des vêtements de façon éthique et durable. Pour cela, je m’inspire beaucoup de l’univers de la food, pionnier dans la transition écologique. Je pense mes collections comme la carte courte d’un restaurant avec des pièces signature dont on connait le créateur, l’origine des matières premières et les lieux de fabrication. L’univers de la femme représente 90% de notre production (denim, maille, etc) avec quelques essentiels -le jean Breda en coton régénératif, la chemise Tony en toile tissée de la Maison Charlieu. Nous n’avons pas de rythme de collection et travaillons autour d’un catalogue de 80 modèles par an, dont certains sont réédités via des déclinaisons de couleur ou de tissu. Nous proposons une pièce plus ambitieuse par semestre, lancée en pré commande auprès de notre communauté (un manteau pour la rentrée). Les créations s’inscrivent dans une « mode à reporter », avec des matières belles et durables et des vêtements singuliers qui ont une histoire et auxquels on s’attache.
Les années 80 sont importantes dans l’ADN de Patine. Qu’est-ce qui vous séduit dans cette époque ?
Il ne s’agit pas de nostalgie, mais du désir de s’inspirer d’une époque qui, à mes yeux, infusait une joie, une énergie, une vraie envie de futur. Mon vestiaire en transpose de nombreux codes : des couleurs primaires, des formes géométriques, des emmanchures déportées. Nos modèles ont une attitude, un mouvement qui incarne l’esprit d’une femme qui bouge et essaie de changer le monde, en mieux. Mais il n’y a rien de littéral, je transpose ces inspirations dans l’époque, notamment avec des matières premières innovantes et vertueuses. Nous collaborons, par exemple avec la maison Pyratex en Espagne qui produit du micro tencel, une matière technique à partir de cellulose de bois qui remplace le polyamide.
Patine est certifiée BCorp et Entreprise à Mission. Présentez-nous ces labels dans les grandes lignes…
Une « Entreprise à mission » doit inventer un nouveau modèle de marque qui rende possible un désir de mode vertueux sur le plan humain et environnemental. Chez Patine, tout est organisé autour de ce cap. Nous privilégions les précommandes pour lutter contre les invendus, nous ne recourrons pas aux soldes car nous vendons au juste prix... Nous cherchons aussi à faire et faire savoir, afin d’inciter nos clientes à évoluer. Tout aussi exigeant, le label BCorp obéit aux commandements de l’Onu autour du développement durable. Pour s’y conformer, nous produisons en Europe (Portugal, Espagne, Italie, France), nous prenons en compte nos émissions directes et indirectes (et celles de nos partenaires) pour réduire notre bilan carbone. Nous travaillons la question des transports et livrons en point relais, plus vertueux qu’à domicile…
Notre modèle est exigeant mais il fonctionne. Patine est fière de sa croissance, +38% l’année dernière, ce qui nous donne envie d’aller plus loin, notamment de penser un développement européen grâce à notre levée de fonds ouverte aux particuliers et business angels sur la plateforme LITA.co
Retrouvez les actualités et produits de la marque sur le site www.patine.fr
L’entretien du mois : Sylvie Chailloux Directrice Générale Textile du Maine, vice-présidente UFIMH
« C’est au salon Made in France que se prépare l’avenir de nos entreprises »
A l’occasion de l’ouverture du salon Made in France qui se déroulera les 2 et 3 avril au Carreau du Temple, Sylvie Chailloux analyse la dynamique actuelle du secteur mode et ses prochains défis, rappelant également le rôle clé de cet événement dans la promotion des savoir-faire français.
Quels sont les objectifs du secteur mode pour 2025 ?
Ils concernent tout d’abord l’innovation qui doit s’imposer tout au long de la chaîne de valeur. Des efforts ont été fournis dans les domaines du marketing et de commerce mais il reste, notamment, beaucoup à faire dans celui de la fabrication. Par ailleurs, il est essentiel d’améliorer l’organisation des échanges à l’intérieur de la filière, par exemple au niveau des approvisionnements de tissus qui manquent de fluidité. La transformation numérique et l’intelligence artificielle peuvent apporter des réponses rapides et pertinentes à ces questions.
Autre défi, celui de l’écologie. Dans un contexte de forte concurrence internationale, la transition écologique est plus difficile à mener mais elle doit rester un objectif. Nous allons observer les effets de la prochaine mise en œuvre volontaire de l’affichage du coût environnemental qui, on l’espère, va réorienter les consommateurs vers une mode plus durable. Dans tous les cas, les marques ont intérêt à valoriser davantage leur démarche car elle constitue une vraie différenciation aux yeux des consommateurs.
Enfin, le sujet de la fin de vie des vêtements s’invite dans l’actualité. Nos législateurs auront à assouplir les règlementations car nous ne disposons pas des capacités nécessaires pour appliquer les dispositions votées. Il faut soutenir les actions autour du recyclage et communiquer davantage autour des dangers de la surconsommation. L’Ufimh oeuvre auprès des parlementaires pour être entendue sur ces sujets.
Quelles sont les priorités dans les 3 prochaines années ?
Les marques françaises auront à gérer un ralentissement durable avec les USA et à réinvestir le marché européen, avec une sorte de European First. Toutefois, l’export hors Europe n’est pas condamné et l’offre française doit valoriser sa créativité pour maintenir ses positions. Nous devrons également poursuivre nos investissements en termes de transition écologique, en espérant que les consommateurs ralentissent leur compulsion d’achat sur les sites chinois qui devraient être impactés par la loi anti fast-fashion, si nos parlementaires prennent la mesure des enjeux. Je reste persuadée que l’engagement vers une mode plus responsable est notre avenir et je rappelle l’intérêt de la démarche des Ateliers Engagés, portée par le GFF, qui constitue un atout clé pour aider les fabricants dans cette transformation. Celle-ci accompagne les entreprises dans une démarche RSE de façon personnalisée, de façon à leur permettre l’obtention du label Les Ateliers Engagés qui atteste des bonnes pratiques et se révèle très précieux d’un point de vue commercial, et en matière de recrutement.
Enfin, les fabricants doivent consolider leur modèle dans le secteur du Luxe tout en s’ouvrant à une diversification pour automatiser les process et réduire leurs coûts sur les marchés de volumes. Nous sortons d’un cycle « prospère » post-covid. Chacun doit repenser son offre, identifier son expertise et cibler ses services, c’est à dire réinterroger son modèle pour l’aligner avec la demande à venir.
Quel rôle joue ce salon dans le rayonnement du savoir-faire français ?
Il est le rendez-vous incontournable pour identifier l’offre de l’industrie française. Les entreprises (une centaine) qui exposent ici sont toutes des résilientes face aux vents contraires de l’internationalisation du sourcing. Elles ont une histoire et des valeurs qu’elles défendent. Par leur visite, nos clients témoignent de leur attachement à ce modèle même si la période est plus compliquée. Ces visiteurs ont un réel projet et un intérêt pour notre savoir-faire. Ce Salon génère des rencontres qui se transforment en affaires parfois, mais sur le temps long. Contrairement à d’autres salons, on ne repart pas de Made in France avec un carnet de commandes mais on enrichit son réseau. C’est ici que se prépare l’avenir de nos entreprises.
*Sylvie Chailloux. Directrice Générale Textile du Maine, administratrice du groupement professionnel Mode Grand Ouest, co-présidente du Groupement de la Fabrication Française, vice-présidente UFIMH.
https://www.textile-du-maine.com/
L’IFM : une école d’excellence pour les métiers techniques de la mode
Depuis sa fusion avec la chambre syndicale de la Haute Couture, l’Institut Français de la Mode a donné un nouvel élan à des formations techniques, alliant désormais savoir-faire français et technologies modernes. Zoom sur ce renouveau avec l’enquête menée par la Maison du Savoir-Faire et de la Création.
Dans la mode, les collaborations permettent souvent de réunir le meilleur des deux partenaires… On pourrait en dire autant dans l’univers de la formation si l’on en juge par la fusion très fructueuse réalisée en 2019 entre l’Institut Français de la Mode (IFM) et l'École de la Chambre Syndicale de la Couture Parisienne, deux institutions réputées mondialement.
La première, créée en 1986, avait pour vocation initiale de préparer les futurs managers de la mode, y compris en matière de création. La seconde permet depuis 1927 d’acquérir les bases techniques de la Haute-Couture au sein des grandes Maisons autant que les techniques de modélisme, de fabrication, de finitions et de mise en forme nécessaires aux ateliers de confection français.
La fusion de l’IFM et de l’École de la Chambre Syndicale de la Couture Parisienne a abouti à une combinaison unique au monde. “Nous sommes la seule école de mode au niveau mondial à réunir sur le même campus ces trois piliers que sont le management, la création et les savoir-faire techniques”, souligne Sylvie Ebel, la directrice générale adjointe de l’IFM.
Tournant moderne
Les formations techniques issues de la Chambre Syndicale ont tiré parti de ce rapprochement.
Elles “ont pris un tournant un peu plus moderne avec l’IFM, explique Blenda Clerjon, la directrice des programmes pédagogiques du CAP et BP, professeure et référente du Bachelor of Arts in fashion Design de l’IFM. Nous avons gardé les origines très importantes de la Chambre syndicale, conservé l’héritage et sa transmission du savoir-faire français et nous lui avons redonné une dimension plus actuelle, grâce à une équipe jeune et dynamique”.
Cette mise à jour des enseignements a bénéficié aux deux formations historiques en alternance, mises en place dès 1927, délivrant des certificats d’aptitude professionnelle. Soit le CAP Métiers de la mode (niveau trois), qui forme les couturiers, mécaniciens monteurs et prototypistes et le Brevet Professionnel (BP) Vêtement sur mesure (niveau quatre), “permettant d’acquérir une haute technicité en confection de vêtements sur mesure” nécessaire aux premières mains et aux modélistes/toilistes.
Deux nouveaux cursus
Preuve de l’intérêt que suscite la Couture, le cursus technique s’est étoffé avec l’adjonction de deux nouvelles formations : en 2019, un Bachelor Modéliste Concepteur (BMC) dont le programme innovant (niveau 6) est proposé sur trois ans en alternance puis, en 2023, un CAP Couture Post-bac en 1 an.
"Cette formation accélérée à plein temps permet de découvrir les métiers de la couture et a l’avantage de s’adresser aussi bien à des personnes en réorientation (fin de carrière ou en cours d’études) qu’à des étudiants étrangers possédant un équivalent du baccalauréat, désireux de se former aux savoir-faire français et de rejoindre l’IFM”, précise Blenda Clerjon.
A tous les niveaux, un même constat d’excellence se retrouve, celui-ci se traduit par des taux de réussite et de placement exceptionnels. Entre 98% des 45 étudiants de CAP et des 20 étudiants du BP sortent diplômés. Des taux attestés par l’Etat, chargé de la correction des examens. Le taux d’insertion professionnelle est proche, pour sa part, de 85% dans les six mois qui suivent la fin des formations.
170 entreprises partenaires
Ces statistiques sont d’autant plus satisfaisantes que l’IFM a gagné la confiance et la fidélité de nombreuses entreprises françaises, soit environ 170. Le panel s’étend des plus grandes Maisons de luxe, comme Dior, Chanel, Hermès, Givenchy ou Louis Vuitton, aux ateliers de confection répartis dans toute la France en passant par les bureaux d’étude ou marques de mode…
Pour arriver à une telle réussite, plusieurs éléments se combinent, soit à la fois un enseignement adapté et une sélection exigeante des étudiants.
Un corps professoral proche du terrain
Premier atout de taille : "l’équipe de professionnels pilotant les enseignements est largement aguerrie aux réalités du terrain", explique Blenda Clerjon. Toute cette équipe échange régulièrement avec les tuteurs des étudiants, via des visites en entreprise ou deux rencontres semestrielles, mais aussi avec l’Education Nationale, pour lui faire prendre conscience de l’évolution du terrain et adapter l’enseignement. “Pour les CAP, les diplômés sont formés aux référentiels de l’Education Nationale, à savoir des blocs de compétences, souligne Blenda Clerjon. En dehors de ceux-là, nous avons un peu de latitude pour personnaliser le programme et répondre aux besoins de nos entreprises partenaires".
Cette fluidité entre théorie et pratique se traduit dans la pédagogie de l'école. “Nous avons des études de cas réel sur les problématiques de la fabrication et tout ce qui tourne autour”, indique la responsable. L’enseignement porte sur des techniques issues d’une longue tradition, comme le moulage, le patronage, la couture à la machine ou à la main. Mais depuis la fusion de 2019, il intègre aussi de nouvelles technologies - formation à la CAO, PAO et prototypage 3D.
Priorité à la RSE
La RSE est aussi désormais un must à l’IFM avec de plus en plus de projets axés sur le recyclage et la circularité des matériaux, l’upcycling et l’ecosourcing. “Nous sensibilisons les jeunes aux enjeux sociaux et environnementaux, explique Blenda Clerjon. Nous essayons de les pousser à faire de l’upcycling à la fois des matières et produits déjà existants, voire à introduire des matières autres que les textiles dans leurs projets”. Les étudiants peuvent ainsi utiliser des fins de rouleaux ou de stocks donnés par les Maisons partenaires.
Une autre explication majeure des performances de l’école repose sur la façon dont elle choisit ses étudiants. "A l’IFM, nous formons des passionnés qui viennent découvrir la mode en commençant par les bases. Nos recrutements sont exigeants. Motivation, projets d’avenir, curiosité, minutie, patience, capacité à travailler en équipe, à répondre aux briefs et à suivre les consignes sont pris en compte tout comme la capacité à faire preuve d’intelligence sociale. Ces qualités sont constamment mises à l’épreuve puisque nos alternants sont perpétuellement en situation professionnelle, même lorsqu’ils sont en classe", fait valoir Blenda Clerjon.
Une sélection exigeante
Cela se traduit par une sélection stricte à l’entrée des formations. Alors qu’il y a 300 à 400 postulants par an, l’IFM ne dispose que de 45 places, “réparties en trois classes pour leur transmettre les savoir-faire dans de bonnes conditions” pour les CAP en alternance. Et il n’a que 20 places à offrir aux candidats au CAP à temps plein et aux BP !
Certes, la demande est réelle dans les Maisons, ateliers et bureaux d’études pour les étudiants formés par l’IFM... Mais faute de places suffisantes en alternance en entreprise, l’IFM préfère ne pas augmenter le nombre actuel d’étudiants. Ce qui lui demande un temps important pour bien étudier tous les dossiers et n’oublier personne. Un travail conséquent alors que les candidatures sont à la hausse ces deux dernières années, traduisant l’engouement croissant pour les métiers de la main.
Des formations techniques prisées
Alors que le CAP à temps plein accepte des étudiants âgés de plus de 30 ans (ce qui n’est pas le cas dans les formations en alternance), la responsable voit aussi “des personnes en reconversion professionnelle, ayant fait des études pour rassurer leurs parents. Et comme elles sont malheureuses dans leurs professions initiales, elles reviennent à leur souhait initial d’exercer un métier manuel”. Preuve de leur motivation : elles sont prêtes à investir 12 500 €, le coût de cette formation sans alternance !
L’entrée dans le giron de l’IFM de formations techniques est aussi un plus pour les futurs managers. A la demande des étudiants de ses cursus de management, l’Institut a ainsi créé un certificat pour que ces derniers puissent s’initier aux techniques de la couture, lors de sessions supplémentaires le samedi. "Pour des raisons pratiques, nous avons dû limiter les classes à une vingtaine d’étudiants mais les candidats ne manquent pas”, souligne Sylvie Ebel. Celle-ci a bien conscience du rôle majeur dévolu désormais à l’IFM dans le secteur.
“On nous a confié cette école avec des formations essentielles à la spécificité de notre filière. Nous ne nous contentons pas de “garder le temple”, mais nous développons aussi les formations de ces métiers essentiels à l’industrie du luxe française. Et nous allons encore renforcer les choses”, explique la directrice adjointe. A l’image de l’industrie de la mode, alliant création et technique, l’IFM fait ainsi à la fois preuve d’imagination et de rigueur pour maintenir vivante la flamme des savoir-faire français et de leur transmission.
Pour en savoir plus, découvrez le site de l'Institut Français de la Mode.
Retrouvez les articles du magazine de la Maison du Savoir-Faire et de la Création ici
3 questions à… Amedi Nacer, président des Manufactures de Normandie.
« J’ai la conviction que la production française est un secteur d’avenir"
Avec un chiffre d’affaires en constante progression et les grandes maisons du luxe français pour clients, les Manufactures de Normandie sont l’un des meilleurs exemples de la vitalité du Made in France. Avec son président Amedi Nacer, les dessous de cette réussite.
Pouvez-vous tout d’abord nous présenter votre entreprise…
Basées à Caen, les Manufactures de Normandie sont la fusion des sociétés Thierry et Fonlupt que j’ai rachetées en 2004 et 2012. Deux entreprises aux expertises très complémentaires qui nous permettent aujourd’hui de répondre aux attentes des grandes maisons du luxe français avec quatre pôles d’activités : la maroquinerie, le flou, le tailleur et le développement de nouveaux savoir-faire. La société réunit aujourd’hui 220 artisans et 14 nationalités - des français, mais aussi des afghans, syriens, chinois… Des professionnels motivés qui viennent ici avec une expérience très riche, acquise dans leur propre pays. Celle-ci est complétée par une formation « maison » que nous proposons à nos employés dès leur arrivée et tout au long de leur carrière afin qu’ils puissent acquérir l’ensemble des savoir-faire maison, comme la très exigeante « couture point main ». Deux formatrices, qui ont travaillé durant plus de 20 ans dans l’entreprise, encadrent ces temps d’apprentissage et transmettent les gestes qui sont notre patrimoine. C’est l’une de nos singularités, nous sommes à la fois une entreprise et un centre de formation.
Les Manufactures de Normandie connaissent un développement continu. Quelles sont les clés de votre succès, et quels retours d’expérience pourriez-vous partager ?
Notre principal atout réside dans notre volonté à nous adapter en permanence, aux marchés, aux attentes de nos clients et à celles de nos salariés. Nous avons toujours placé les besoins de nos employés au cœur des préoccupations de l’entreprise car nous considérons qu’ils sont sa première richesse. Nous attachons une grande importance à la transmission des savoir-faire d’excellence, avec une exigence qui est l’une de nos valeurs communes. Nous cultivons également un management apaisé et de proximité. Tous nos managers sont issus de l’entreprise. Nous tentons de créer les conditions pour que les employés s’investissent, qu’ils aient envie de prendre des responsabilités sans craindre l’échec.
Quels sont vos projets, vos ambitions pour les 3 prochaines années ?
Nous allons développer encore notre pôle formation car il contribue incontestablement à la bonne santé de l’entreprise. Nous avons aussi pour ambition d’améliorer la rémunération de nos salariés afin de renforcer la pérennité de nos équipes. Côté technique, nous travaillons à monter en compétences dans le domaine de la digitalisation, notamment de la supply chain. Nous avons créé un bureau d’études pour accompagner nos clients en étant davantage force de proposition et en valorisant l’excellence de nos savoir-faire. Enfin, nous sommes très engagés dans le domaine de la RSE et nous allons poursuivre nos actions autour de la réduction de notre bilan carbone.
Autant d’objectifs qui participent à valoriser une certaine idée du Made in France auquel nous sommes très attachés. Nous avons su préserver, transmettre et moderniser des savoir-faire exceptionnels et nous avons la conviction que la production française est un secteur d’avenir, pourvu que les entreprises développent cette capacité de s’adapter, en permanence, aux attentes du marché.
https://thierry-fonlupt.fr/